Notre lettre 370 publiée le 16 janvier 2013
UNE DES MODALITÉS CANONIQUES POSSIBLES POUR DONNER SA PLACE À LA LITURGIE EXTRAORDINAIRE : LE « DIOCÈSE » PERSONNEL
Un entretien de l’agence Zenit à propos de l’Administration apostolique de Campos
Cette semaine, nous attirons l’attention sur un entretien donné à l’édition en portugais de zenit.org par l’Abbé José Edilson de Lima, prêtre de l’Administration apostolique Saint-Jean-Marie-Vianney, dont nous donnons ici la traduction. Fondée par Mgr de Castro Mayer, évêque du diocèse brésilien de Campos de 1948 à 1981, l’Union Saint-Jean-Marie-Vianney a été reconnue canoniquement le 18 janvier 2002, sous la forme d’une Administration apostolique personnelle du même nom érigée par la Congrégation des Évêques.
I – NOTRE TRADUCTION DE L’ENTRETIEN DE L’ABBÉ EDILSON DE LIMA
Deux formes liturgiques, mais une même foi
Zenit : Quelle est la différence entre la messe selon la forme extraordinaire du rite romain et la messe en forme ordinaire ? Depuis quand existe-t-elle ?
Abbé de Lima : La messe dans la forme extraordinaire est le résultat d’une ancienne tradition recueillie par saint Grégoire le Grand (596-604) pour l’Église de Rome, dans laquelle est déjà fixé le canon. Ce canon est resté le même jusqu’au Bienheureux Jean XXIII. Étant la liturgie de l’Église de Rome, elle s’est répandue dans tout l’Occident entre le huitième et le seizième siècle.
Sous Charlemagne, elle se répandit dans l’Empire franc et s’enrichit au contact des différentes liturgies orientales et gallicanes. Lors de la crise de l’Église et de la papauté, le missel, désormais franco-allemand, fit son retour à Rome et devint la base de la réforme grégorienne au XIe siècle. Les rites furent simplifiés pour l’usage de la Curie lors de ses déplacements et le missel romain fut ainsi utilisé partout. Les Franciscains l’adoptèrent et étendirent son usage à tout l’Occident.
Le concile de Trente, confronté à une grave crise de l’Église et aux attaques protestantes contre les dogmes eucharistiques, et en particulier la valeur de la Sainte Messe, de l’Eucharistie et du sacerdoce, ordonna la réforme du missel et, en 1570, le pape saint Pie V publia la bulle Quo primum tempore imposant le Missel romain, basé sur le missel en usage à la Curie, dans toute l’Église latine. Pour cette raison, le missel ancien est dit de saint Pie V ou tridentin mais il est en fait beaucoup plus ancien.
Les papes successifs rééditèrent le missel, améliorant la formulation des rubriques, révisant certains textes et ajustant le calendrier. Sa dernière réforme fut faite par le Bienheureux Jean XXIII avec le Motu Proprio Rubricarum Instructum du 25 juillet 1960 et la dernière édition conforme aux nouvelles rubriques est de 1962. C’est celle qui régit ce que le pape Benoît XVI a appelé la forme extraordinaire du rite romain.
La grande différence réside dans son histoire, car elle est le fruit d’une évolution liturgique homogène, et dans sa précision théologique, notamment en ce qui concerne les dogmes eucharistiques. Elle favorise le sens du sacré avec une liturgie plus verticale. Par la précision de ses rubriques, elle est moins sujette à altérations, ce qui offre une certaine garantie contre les innovations qu’une mauvaise compréhension du vrai sens liturgique peut produire.
Zenit : Qu’est-ce que l’Administration apostolique Saint-Jean-Marie-Vianney ? Est-elle approuvée par le pape ?
Abbé de Lima : L’Administration apostolique personnelle Saint-Jean-Marie-Vianney est une circonscription ecclésiastique, comparable à un diocèse, selon les canons 368 et 371 § 2, élevée canoniquement le 18 janvier 2002, pour répondre à une situation particulièrement grave qui existait dans le diocèse de Campos. Il y avait un évêque et un groupe stable de prêtres et de religieux, plusieurs communautés structurées, des œuvres sociales et d’apostolat et près de 30 000 fidèles vivant au rythme de la Sainte Messe et de la discipline liturgique antérieures au concile Vatican II. Nous formions l’Union Saint-Jean-Marie Vianney. C’était une situation inconfortable pour nous parce que nous avions toujours aimé la Sainte Église et le Saint-Père, prié pour lui au canon de la messe et que nous ne nous étions jamais considérés comme une autre Église mais toujours comme des catholiques romains. Nous avons donc demandé au Saint-Père de nous reconnaître comme catholiques et de pouvoir conserver la liturgie traditionnelle. Sa sollicitude se manifesta à notre encontre et donna naissance à une Administration apostolique personnelle.
Par le décret Animarum bonum de la Congrégation pour les Évêques, l’Union Saint Jean-Marie Vianney a été transformée en Administration apostolique personnelle dans les limites du diocèse de Campos, et confiée à un administrateur apostolique qui gouverne au nom du Souverain Pontife. En fait, il y a deux circonscriptions ecclésiastiques au sein d’une même zone : l’une territoriale, le diocèse de Campos avec son évêque, et l’autre pour les fidèles attachés à la forme ancienne du rite romain (aujourd’hui appelée forme extraordinaire), l’Administration apostolique personnelle. Un même territoire pour deux formes liturgiques unies par la même foi et la même fidélité aux pasteurs légitimes de l’Église. La création de l’Administration apostolique a mis fin à la division qui existait à Campos et a été un facteur d’enrichissement pour l’Église, pas seulement localement mais aussi dans tout le Brésil, prouvant que les deux formes liturgiques pouvaient cohabiter en parfaite harmonie, sans nuire à l’unité.
Zenit : De quel type de formation a besoin le fidèle qui désire participer à cette messe ?
Abbé de Lima : Alors que beaucoup de ceux qui sont liés à la forme extraordinaire le sont en raison d’une certaine formation liturgique, en réalité tout fidèle bien disposé peut y participer. Nous l’observons dans nos églises et paroisses. Des gens très simples, parfois semi-analphabètes ou même des enfants, assistent et participent sans problème à la messe en forme extraordinaire. Il est possible d’éprouver quelques difficultés au début, comme cela arriverait pour n’importe quel rite inconnu. Mais dans le cas de la forme extraordinaire, le rite est le même.
Il est très utile d’utiliser le missel approprié contenant les textes en latin et en langue vernaculaire. Si cela n’est pas possible, il est judicieux d’avoir à disposition au moins le texte de l’ordinaire de la messe pour pouvoir suivre les différents moments de la liturgie. Nous commencerons ainsi à percevoir que, des prières au bas de l’autel jusqu’au Gloria et à la Collecte, la messe est un chemin qui nous conduit vers Dieu. Dieu se tourne alors vers nous pour nous délivrer Sa parole. Après avoir professé notre foi [au Credo, NDLR], c’est nous qui allons de nouveau vers Lui en nous offrant au Père avec la victime divine. Les prières de l’offertoire sont très belles et datent du XIIIe siècle [lapsus du P. de Lima, qui veut dire Xe-XIe siècles] : Dieu reçoit nos offrandes et vient à nous en nous donnant Son propre Fils.
Il y a un double mouvement, l’un ascendant, l’autre descendant : nous allons vers Dieu et Lui vient à nous. Cela est bien clair pour chaque fidèle, même pour celui qui ne comprend pas le sens précis des mots latins.
Au Brésil, la messe en forme extraordinaire est célébrée dans de nombreux diocèses et beaucoup de fidèles la désirent. Beaucoup de prêtres s’adressent à notre Administration apostolique pour apprendre à célébrer. Nous organisons une rencontre annuelle pour les prêtres liés à la liturgie traditionnelle afin d’aider à leur formation théologique, spirituelle et liturgique. Le fruit principal de ces journées est non seulement une meilleure connaissance de la forme extraordinaire mais aussi une meilleure célébration, plus digne et respectueuse, de la forme ordinaire dans leurs paroisses d’origine, comme le souhaite le Saint-Père.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) “ Qu’est-ce que la forme extraordinaire du rite romain ? Est-elle approuvée par le pape ? Est-il si difficile de la comprendre et d’y participer ? ” : Dans sa présentation de l’entretien de l’abbé de Lima, l’agence Zenit précise que c’est pour répondre à ces questions qu’elle a donné la parole à un prêtre de Campos. C’est le premier point positif de ce document : la forme extraordinaire intéresse et intrigue et c’est auprès de ceux qui la pratiquent et la diffusent que les médias honnêtes vont s’informer.
Signalons par ailleurs que, dans le même esprit et à la même période, l’édition anglophone de RFI prenait contact avec Paix liturgique pour un reportage diffusé le 21 décembre à l’occasion du 850ème anniversaire de Notre-Dame. L’idée de la radio était d’illustrer cet événement par une réflexion sur l’état de la pratique religieuse en France. Vous pouvez écouter ce reportage ici.
2) L’histoire de Campos remonte au choix de son évêque, Mgr Antonio de Castro Mayer, de ne pas appliquer la réforme liturgique. Sous son gouvernement et jusqu’à sa retraite en 1981, Campos demeura l’unique diocèse au monde à conserver la messe traditionnelle. Comme le premier geste de son successeur fut, précisément, d’introduire la nouvelle messe dans le diocèse, Mgr de Castro Mayer organisa l’Union Saint-Jean-Marie-Vianney pour soutenir les prêtres et les fidèles désireux de conserver l’ancienne liturgie.
Par la suite, Mgr de Castro Mayer n’hésita pas à approuver les sacres de 1988 à Écône en y participant au titre de co-consacrateur, aux côtés de Mgr Lefebvre, des quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X. À sa mort, en 1991, ce sont les évêques de la Fraternité Saint-Pie X qui consacreront à leur tour son successeur, Mgr Licinio Rangel. Et c’est Mgr Rangel qui, en 2001-2002, se sentant mourir, œuvrera à la réconciliation de l’Union Saint-Jean-Marie-Vianney avec Rome qui débouchera sur l’érection de l’Administration apostolique du même nom dont nous parle l’abbé de Lima, au profit de Mgr Rangel (le Saint-Siège lui donnant un coadjuteur, en la personne de Mgr Fernando Rifan, actuel administrateur apostolique).
3) Le Motu Proprio Summorum Pontificum évoque, à côté de la célébration de la messe traditionnelle dans les paroisses, la création éventuelle de paroisses personnelles vouées à la forme extraordinaire (il en existe actuellement quatre en France : à Toulon, Bordeaux, Strasbourg et Blois). Antérieure au Motu Proprio a été la création de l’Administration personnelle de Campos, qui représente un autre moyen pour donner toute sa place à la forme extraordinaire. La reconnaissance canonique de la Fraternité Saint-Pie X devrait d’ailleurs prendre une forme équivalente, mais au niveau mondial cette fois. On pourrait également imaginer la nomination d’évêques spécialisés pour la forme extraordinaire, dépendant de la Commission Ecclesia Dei, et dotés de facultés adéquates, pour célébrer à l’invitation de paroisses ou communautés, donner des sacrements réservés aux évêques, encourager les prêtres paroissiaux célébrant selon le missel de Jean XXIII, soutenir les communautés Ecclesia Dei dans leur apostolat, dialoguer enfin avec les évêques diocésains pour les aider à régler un certain nombre de situations concernant la forme extraordinaire du rite.
4) Pédagogie de la forme ordinaire pour les prêtres qui désirent revivifier leur ars celebrandi comme pour les fidèles qui veulent comprendre ou retrouver le sens de la liturgie eucharistique, la forme extraordinaire doit avoir droit de cité dans les paroisses. C’est le souhait de Benoît XVI et ce à quoi concourt l’Administration apostolique Saint-Jean-Marie-Vianney avec ses rencontres annuelles qui rappellent le gros effort fait pour favoriser l’apprentissage de la forme extraordinaire par les prêtres qui le désirent dans le monde anglo-saxon. Une démarche volontariste et collective qui, étrangement, n’existe pas en France... Il faut dire que Mgr Rifan œuvre en ce sens de concert avec Mgr Fernando Guimarães, évêque de Garanhuns, au Brésil, qui fut collaborateur étroit du Cardinal Castrillón et principal négociateur de l’érection de l’Administration de Campos du côté du Saint-Siège, cependant que le P. Rifan était le négociateur pour le compte de Mgr Rangel. Mgr Fernando Guimarães est ainsi partie prenante des sessions annuelles évoquées par le P. de Lima.
5) L’abbé de Lima évoque « l’enrichissement réciproque » que permet le nouveau cadre liturgique permis par le Souverain Pontife et témoigne des échanges qui ont lieu entre l’Administration apostolique de Campos et les diocèses du Brésil : il parle spécialement de l’aide apportée aux prêtres diocésains non seulement pour une meilleure connaissance de la forme extraordinaire mais aussi, selon un processus désormais bien connu, pour une meilleure célébration, plus digne et respectueuse, de la forme ordinaire. Pourquoi ce qui est possible au Brésil, pays dont une partie de l’épiscopat a été et reste très engagé dans les dérives modernistes (on parle de près de la moitié des évêques qui seraient favorable à la théologie de la libération sous ses nouvelles formes), ne l’est pas en France ?
En effet, en novembre 2007, dans notre lettre 69, nous rendions grâce au Saint-Père pour le Motu Proprio, particulièrement bénéfique « pour renouer avec une tradition liturgique restée très vivante et très jeune, et pour établir au sein des paroisses l’heureuse coexistence des deux formes du rite romain, mettant en place par le fait les conditions de leur enrichissement réciproque ». Compte tenu de ce qu’est devenu – ou de ce qu’est nativement – la forme ordinaire du rite, une véritable coexistence dans les paroisses et les diocèses (dans les cathédrales notamment), une coexistence franche et massive avec la forme extraordinaire, n’est-elle pas d’ailleurs le seul moyen de régénérer, par contamination, selon le terme technique qu’utilisent les historiens de la liturgie, la forme ordinaire ? En la transformant passablement.