Notre lettre 286 publiée le 8 juin 2011

ENQUÊTE DANS LE DIOCÈSE DE “L'IMMORTEL” MGR DAGENS , ÉVÊQUE D'ANGOULÊME

En ce mois de juin 2011, quatre ans après la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum par Benoît XVI, quatre diocèses de France demeurent totalement privés de la célébration, même mensuelle, de la forme extraordinaire du rite romain. Paix liturgique va passer en revue ces trous noirs, ces quatre diocèses – Langres, Viviers, Mende et Angoulême – dans les semaines qui viennent. C’est par le diocèse d’Angoulême, correspondant au département de la Charente, que nous allons commencer cette série qui nous portera, sans doute, à programmer de nouveaux sondages diocésains.

Angoulême est un diocèse dont l’évêque titulaire, Mgr Claude Dagens, est illustre : c’est le dernier ecclésiastique à avoir été élu pour siéger sous la Coupole de l’Institut. Mgr Dagens, un des intellectuels de l’épiscopat français, spécialiste de patristique, a appartenu au groupe modéré – il faudrait plutôt dire à la “nébuleuse” – représenté par la revue Communio. Mais Mgr Dagens est tout le contraire d’un traditionnel. Comme son confrère de Communio, le philosophe Jean-Luc Marion, venu le rejoindre à l’Académie française, le traditionalisme lui provoque des poussées de boutons. Certes, il est loin d’être un progressiste échevelé mais il est fermement convaincu que l’Église doit continuer à s’adapter à la société moderne, nonobstant l’échec patent de “l’ouverture au monde” pratiquée depuis le dernier concile. Au point qu’il se retrouve aujourd’hui “sur la gauche” de la ligne (prudemment) interventionniste du cardinal Vingt-Trois et de Mgr d’Ornellas dans les questions de législation bioéthique.

Il s’est rendu, en effet, célèbre au sein de l’épiscopat français, par ce que l’on appelle le “Rapport Dagens”, rapport de style fort plat, dont les gardiens de notre langue ont cependant jugé digne de faire accéder son auteur aux rangs des “immortels”. Il s’agit en fait de deux textes, dont l’évêque d’Angoulême, chargé alors du service “Incroyance-Foi” à la Conférence des Évêques, a dirigé la rédaction : “La proposition de la foi dans la société actuelle” (présenté à la CEF en 1994, La Documentation catholique, 4 décembre 1994, pp. 1043-1059) ; et “La proposition de la foi. Vers une nouvelle étape” (présenté à la CEF en 1996, DC du 2I janvier 1996, pp. 62-79). Le Rapport Dagens avalise le retrait social de l’Église : l'Église peut être reconnue comme le lieu de la foi “proposée à l'ensemble de notre société, sans que cette proposition n'apparaisse comme l'expression d'une volonté hégémonique”. L’Église (celle de Mgr Dagens) se propose donc, avec une insondable naïveté, d’être un “plus” spirituel pour la démocratie laïque : “La démocratie et la laïcité elle-même, pour demeurer vivantes, ont besoin d'un climat spirituel dont le christianisme est une composante essentielle, alors même qu'il ne prétend pas y détenir le monopole de la religion” ; “La pratique de la laïcité à la française peut permettre à la tradition chrétienne de jouer un rôle spécifique dans une société incertaine, en contribuant au vouloir-vivre de cette société… La foi chrétienne effectivement vécue entretient dans la société un climat spirituel qui importe à la démocratie, qu'il s'agisse de fonder la responsabilité des sujets personnels, dans une société fragile, ou bien de communiquer à des jeunes des raisons de vivre dans un environnement rempli d'incertitudes”. Cet optimisme est donc très loin de la dénonciation de la “culture de mort” de Jean-Paul II et de celle du nihilisme par Benoît XVI, qui n’a de cesse, pour sa part, de stigmatiser la sécularisation de l’Église et d’appeler à une “nouvelle évangélisation” des vieilles nations catholiques.

Prudent, ce que lui reproche d’ailleurs Golias qui ne lui décerne que deux mitres dans son dernier Trombinoscope, Mgr Dagens ne s’oppose toutefois pas au pape sur le terrain théologique mais se contente, comme bon nombre de ses confrères, de freiner l’arrivée dans son diocèse du renouveau ratzinguérien et, singulièrement, de la réforme liturgique. Le seul prêtre qui célébrait la forme extraordinaire du rite romain a, ainsi, été “prêté” au diocèse de Bayonne l’été dernier...



I – La situation de la liturgie extraordinaire avant 2007


L’un des paradoxes du diocèse d’Angoulême, c’est que la liturgie traditionnelle dans le cadre paroissial y a disparu alors qu’elle y était célébrée avant le Motu Proprio.
Sans remonter aux années 80 – quand existaient aussi une messe à Cognac et une autre à Angoulême – il y a eu en effet jusqu’en 2005 une messe dominicale dans le diocèse. Celle-ci était célébrée en alternance dans les églises de Lussac et de Suaux, villages situés entre Angoulême et Confolens, par l’abbé Hervouet.

Né en 1926, ordonné à Angoulême en 1956, l’abbé Eugène Hervouet était de ces vieux curés qui avaient continué vaille que vaille, mais avec le fidèle soutien de leurs paroissiens, à célébrer la messe comme au jour de leur ordination. Les dernières années, ce maintien fut réellement héroïque, tant l’abbé Hervouet était épuisé par la maladie. Depuis son rappel à Dieu, le 2 janvier 2006, la liturgie traditionnelle n’a plus été célébrée à Suaux ni à Lussac. Sans entrer dans des détails, on dira seulement que l’évêque du “Rapport” n’a pas hésité une seconde à user son “bras séculier” pour interdire toute reviviscence de la messe traditionnelle dans ces églises.

En dehors du cadre paroissial, la Fraternité de la Transfiguration, communauté amie de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X, célèbre deux messes le dimanche à Angoulême qui rassemblent une centaine de fidèles. Fondée dans l’Indre voisine par le père Lecareux, la Fraternité de la Transfiguration a été appelée à Angoulême en 1988 pour prendre le relais d’une messe célébrée jusque là par un prêtre diocésain, l’abbé Chambaud. Cette présence témoigne, si nécessaire, de l'existence ancienne d’un important groupe stable de fidèles attachés à la liturgie traditionnelle à Angoulême même.



II – La fausse application de Genac


Dès la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum, un groupe de demandeurs s’est constitué à Angoulême. Début 2008, assez rapidement par rapport aux standards épiscopaux, la réponse de Mgr Dagens se manifesta par la concession d’une messe mensuelle dans l’église de Genac, à 20 km d’Angoulême. Une messe, oui, mais pas hebdomadaire et surtout pas à Angoulême : bref, Mgr Dagens décidait d’appliquer en 2008 le Motu Proprio de... 1988 et non celui de 2007. Et de l’appliquer modérément, Mgr Dagens étant un modéré !

Rappelons que le Motu Proprio de Jean-Paul II réservait en effet à l’évêque le pouvoir de concéder la liturgie traditionnelle dans les conditions qu’il retenait appropriées alors que celui de Benoît XVI érige un droit pour les prêtres et les fidèles. L’ironie, amère, de l’histoire, c’est que Mgr Dagens avait bien pris garde, jusque là, de ne pas appliquer le Motu Proprio de 1988, faisant bien savoir à tous que les communautés Ecclesia Dei n’étaient pas les bienvenues dans son diocèse.

La première messe à Genac, le 20 janvier 2008, fut un succès puisque plus de 70 personnes, dont plusieurs journalistes, y assistèrent. Il faut dire que les organisateurs avaient enfreint l’interdiction faite par Mgr d’Angoulême de rendre publique la cérémonie en avertissant la presse 48 heures avant la célébration. Après un instant de colère (Mgr Dagens est modéré, mais fort colérique), l’évêque s’était résigné, avec la promptitude d’esprit qui le caractérise, à reprendre le contrôle des opérations, en publiant un communiqué officiel et en intervenant à la radio. D’où la participation, outre la quarantaine de membres des familles de demandeurs, d’une vingtaine de paroissiens des environs.

Le seul point noir de cette première messe fut de révéler aux participants, comme aux téléspectateurs du journal du soir de France 3 local qui s’obligea à un reportage, l’âge avancé du célébrant désigné par l’évêque : 87 ans ! Il ne fallait pas être grand clerc, c’est le cas de le dire, au soir de cette première messe, pour comprendre que cette célébration ne disposait que d’un avenir limité et que le choix de Genac n’était pas un hasard puisque la commune abrite la maison de retraite des prêtres du diocèse, là même où le valeureux abbé Hervouet s’était retiré à la veille de sa mort.

De fait, la pseudo-application de Summorum Pontificum à Genac s’est terminée courant 2009, avec la retraite définitive du célébrant et son non-remplacement.



III – L’expérience de Saint-Yrieix-sur-Charente


Indépendamment de l’évêque, une célébration dans l’esprit du Motu Proprio Summorum Pontificum a toutefois bel et bien eu lieu en Charente depuis 2007.

De 2008 à 2010, de sa propre initiative, le père Texier, vicaire de la paroisse de Saint-Yrieix, en périphérie d’Angoulême, a en effet offert la liturgie extraordinaire chaque dimanche, rassemblant une quarantaine de fidèles. Confronté à de nombreuses pressions, dont celles particulièrement malveillantes de l'ex-vicaire général et ex-curé de la cathédrale, le père Braud, l’abbé Jean-Baptiste Texier a finalement été prêté au diocèse de Bayonne à l’été 2010. L’unique application du Motu Proprio Summorum Pontificum dans le diocèse d’Angoulême s’est donc arrêtée là, le groupe de fidèles s’étant malheureusement disloqué depuis, se reportant notamment sur les célébrations de la Fraternité de la Transfiguration.



IV – Et maintenant ?


Dans un commentaire au Motu Proprio publié en juillet 2007, Mgr Dagens affirmait croire “à l’importance des dialogues approfondis qui portent sur l’essentiel de la foi” et ajoutait que “cet essentiel n’est pas seulement de l’ordre de la foi, mais de l’ordre de la charité”.
Comment ne pas souscrire à de tels propos ? Et lui demander, aujourd’hui que l’instruction Universae Ecclesiae a rappelé avec force que la liturgie traditionnelle est un “trésor “ offert “à tous les fidèles” : Avec quelle charité, Monseigneur, entendez-vous traiter les fidèles de votre diocèse désireux de vivre leur foi au rythme de la forme extraordinaire du rite romain ?

Il y a aujourd’hui deux demandes pendantes dans le diocèse : celle d’Angoulême, qui a résisté aussi bien à l’épisode de Genac qu’à celui de Saint-Yrieix, et celle de Cognac, transmise en son temps par le curé-doyen à l’évêché, évaluée en conseil épiscopal et... restée lettre morte ! Si la situation à Angoulême est compliquée en raison des contrecoups des affaires qui ont agité la cathédrale, elle est plus simple à Cognac où le curé part en retraite en août. À Angoulême, l’application du Motu Proprio pourrait passer aisément par le recours à un institut Ecclesia Dei, ce à quoi Mgr Dagens s’est toujours refusé même si, dans le contexte actuel, cela pourrait offrir du sang neuf, bienvenu dans le doyenné. À Cognac, les demandeurs attendent en revanche avec confiance et détermination le nouveau curé, instruction d’application du Motu Proprio en mains.



N.B. Pour mieux connaître la situation du diocèse de Mgr Dagens, Paix Liturgique a décidé de lancer un sondage dans ce diocèse. Nous vous remercions par avance de l’aide que vous pourrez nous apporter pour assurer son financement.

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