Notre lettre 1147 publiée le 9 janvier 2025
QUAND PÉGUY
RÉPLIQUE AUX DÉTRACTEURS
DU PÈLERINAGE DE CHRETIENTÉ !
UNE CHRONIQUE DE RÉMI FONTAINE
Pour faire suite au Message de Noël de Jean de Tauriers aux pèlerins et sympathisants de Notre-Dame de Chrétienté ; en guise de vœux pour ce début d’année sainte et de grâce 2025 :
Dans un passage de Clio, son « Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne » (œuvre posthume), Charles Péguy semble répondre lui-même, comme en passant, par inadvertance et par avance, prémonitoirement, à la prévention « romaine » et épiscopale d’aujourd’hui à l’endroit de la résurgence bien ténue mais réelle des pèlerinages de Chrétienté. Citons-en quelques extraits éloquents, à l’attention de ce nouveau parti de « quelques misérables dévots », comme il dit, adeptes rigides et « indietristes » (ringards) de la discipline, de la menace et de l’interdit cléricalistes ! Nous avons souligné (en gras) ce qui apparaît correspondre étonnamment à la situation actuelle et confuse de l’Eglise. C’est Clio, la muse de l’histoire, qui parle. – Rémi Fontaine
« Un beau monument à la face de Dieu »
« Oui ces modernes ont voulu e´liminer d'eux, de leur socie´te´, de leur famille, de tout leur e^tre toute substance de chre´tiente´… Mais je sais aussi, dit-elle, que la gra^ce est insidieuse, que la gra^ce est retorse et qu'elle est inattendue. Et aussi qu'elle est opinia^tre comme une femme, et comme une femme tenace et comme une femme tenante. Quand on la met a` la porte, elle rentre par la fene^tre…
Par la périphérie !
Quand la gra^ce ne vient pas droit, c'est qu'elle vient de travers. Quand elle ne vient pas a` droite, c'est qu'elle vient a` gauche. Quand elle ne vient pas droite c'est qu'elle vient courbe, et quand elle ne vient pas courbe c'est qu’elle vient brise´e. Il faut se me´fier de la gra^ce, dit l'histoire… Elle ne prend pas les me^mes chemins que nous. Elle prend les chemins qu'elle veut. Elle ne prend me^me pas les me^mes chemins qu'elle-me^me. Elle ne prend jamais deux fois le me^me chemin. Elle est peut-e^tre libre, dit l'histoire, elle la source de toute liberte´. Quand elle ne vient point par en dessus, c'est qu'elle vient par en dessous; et quand elle ne vient point par le centre, c'est qu'elle vient par la circonfe´rence…
Oui, le monde moderne a tout fait pour proscrire la chre´tiente´, pour e´liminer de soi toute substance, tout atome, toute trace de chre´tiente´. Mais si je vois une invincible, une insubmersible, une incompressible chre´tiente´, resoudre d'en dessous, resoudre du pourtour, resourdre de partout, vais-je la me´connai^tre, parce que moi infirme je n'avais pas calcule´ d'ou` elle viendrait; et pour la punir peut-e^tre de ce que je n'avais pas calcule´ d'ou` elle viendrait. Quand l'e´ternelle source ressort d'une sourde infiltration, vais-je de´clarer que je trouve indigne, moi, indigne d'elle qu'elle sorte de la`, comme une eau perdue. Et dois-je m'en re´jouir, enfin, ai-je le droit, ai-je la liberte´ de m'en re´jouir. Ou dois-je me contrister, pour plaire a` quelques mise´rables de´vots, que Dieu revienne par ou` je ne l'attendais pas...
« Le pe´che´ de n'e^tre point dans les sacramentelles formes »
... Il serait trop facile de croire, dit-elle, pour plaire a` quelques mise´rables de´vots, que Dieu, lui aussi peut-e^tre pour plaire a` quelques mise´rables de´vots, va abandonner tout un peuple, et quel peuple et tout un monde, et tout un sie`cle de ses cre´atures parce que ces cre´atures, parce que ce monde parce que ce peuple sont dans le pe´che´ de n'e^tre point dans les sacramentelles formes… Ou` est-il dit que Dieu abandonne l'homme dans le pe´che´. Il le travaille au contraire. (On pourrait presque dire que c'est la` qu'il l'abandonne le moins). Ce peuple ache`vera un chemin qu'il n'a pas commence´. Ce sie`cle, ce monde, ce peuple arrivera par la route par laquelle il n'est pas parti. Et beaucoup en outre et ainsi se reve^tiront, se retrouveront dans les sacramentelles formes...
… C'est une grande question que de savoir si nos fide´lite´s, si nos cre´ances modernes, c'est-a`-dire chre´tiennes baignant dans le monde moderne, traversant intactes le monde moderne, l'a^ge moderne, les sie`cles modernes, les deux et les plusieurs sie`cles intellectualistes n'en rec¸oivent pas une singulie`re beaute´, une beaute´ non encore obtenue, et une singulie`re grandeur aux yeux de Dieu. C'est une question e´ternelle que de savoir si nos saintete´s modernes, c'est-a`-dire nos saintete´s chre´tiennes plongeant dans le monde moderne, dans cette vastatio, dans cet abi^me d'incre´dulite´, d'incre´ance, d'infide´lite´ du monde moderne, isole´es comme des phares qu'assaillirait en vain une mer depuis biento^t trois sie`cles de´monte´e ne sont pas, ne seraient pas les plus agre´ables aux yeux de Dieu.
Une piété populaire traversant le monde moderne
Nolite judicare. Nous ne le jugerons point, et ce n'est pas nous, on l'oublie trop souvent, qui sommes charge´s de faire le jugement. Mais sans aller jusqu'aux saints, jusqu'a` nos saints modernes, chronologiquement modernes, nous, pe´cheurs, nous devons e´viter de tomber dans l'orgueil. Ce n'est peut-e^tre pas un orgueil que de voir. Ce n'est peut-e^tre pas de l'orgueil. Que de constater autour de nous. Qu'assaillis de toutes parts, e´prouve´s de toutes parts, nullement e´branle´s nos constances modernes, nos fide´lite´s modernes, nos cre´ances modernes, chronologiquement modernes, isole´es dans ce monde moderne, battues dans tout un monde, inlassablement assaillies, infatigablement battues, ine´puisablement battues des flots et des tempe^tes, toujours debout, seules dans tout un monde, debout dans toute une mer ine´puisablement de´monte´e, seules dans toute une mer, intactes, entie`res, jamais, nullement e´branle´es, jamais, nullement e´bre´che´es, jamais, nullement entame´es, finissent par faire, par constituer, par e´lever un beau monument a` la face de Dieu. A la gloire de Dieu. »
Charles Péguy, extrait de Clio
« 2ème cahier de la 13ème série »