Notre lettre 1036 publiée le 14 mai 2024

QUELLE LITURGIE POUR LES JEUNES ?
NE SOMMES-NOUS PAS ENFIN ARRIVES
A L'HEURE DUN INDISPENSABLE BILAN ?

Les jeunes s’ennuient dans les liturgies ? Cette évidence, Mgr Aurelio García Macías, ancien recteur du séminaire de Valladolid, évêque, sous-secrétaire du Dicastère pour le Culte divin, théoriquement en charge du monde traditionnel (dont il est notoire qu’il ne connaît strictement rien et qu’il ne fait aucun effort pour connaître) la constate et la regrette. Faisant une visite à Ronda et Malaga, en Espagne, il a été interrogé le 29 avril dernier par le bulletin diocésain de Malaga (Mons. Aurelio García: «En la liturgia, el papa Francisco nos está pidiendo cambiar el 'yo' por el 'nosotros'» · PÁGINA DE INICIO · Diócesis de Málaga : Portal de la Iglesia Católica de Málaga (diocesismalaga.es)), entretien rapporté par Infovaticana le 1er mai (Aurelio García, sous-secrétaire du Dicastère pour le culte divin : « Des personnes sans formation prennent des décisions qui ne les concernent pas » (infovaticana.com)). La vision de Mgr García, formé à l’Université liturgique Saint-Anselme, haut fonctionnaire romain type, est que les cérémonies (nouvelles) doivent respecter les règles (nouvelles), que seuls ceux qui ont reçu une formation (nouvelle) sont compétents pour édicter. La révolution, mais dans l’ordre et en col romain impeccable.

Dans la foulée, le rédacteur du bulletin lui a demandé pourquoi les jeunes s’ennuyaient-ils autant dans les cérémonies liturgiques : « Ils s’ennuient parce qu’ils ne comprennent rien, parce qu’il n’y a pas d’initiation à la liturgie. » Et de continuer : si ces jeunes ne comprennent rien à la liturgie (nouvelle), c’est qu’ils n’ont pas la foi. Il faudrait commencer par là, etc.

Ce n’est pas faux, du moins comme constat de la déchristianisation massive, ou plutôt de la non-christianisation de la jeunesse d’un pays autrefois catholique comme l’Espagne. Mais c’est une grave erreur d’analyse en ce qui concerne ce qui reste de jeunesse catholique, qui est au contraire attirée par le culte divin à l’ancienne. Mais pas celui que gère Mgr García. Et c’est une erreur pastorale plus grave encore en ce qui concerne l’appel à la conversion que constituent ces cérémonies catholiques qui ne sont pas la tasse de thé de Mgr García, comme on s’en doute.

Que ces cérémonies attirent, ce n’est pas nous qui le disons, c’est La Croix. Pas exactement comme nous, mais presque.


« Pourquoi la liturgie fascine tant les jeunes catholiques »

Christian Marquant, dans sa 136ème Lettre aux veilleurs parisiens pour la liberté de la liturgie traditionnelle, signalait en effet un très intéressant article de Sophie Le Pivain (qui connaît bien, quant à elle, familialement, le monde traditionnel) dans La Croix du 25 avril dernier : « Pourquoi la liturgie fascine tant les jeunes catholiques » (Pourquoi la liturgie fascine tant les jeunes catholiques (la-croix.com).

Son constat est à l’opposé de celui du fonctionnaire romain : « C’est un fait?: plus que leurs aînés, les jeunes catholiques accordent une place primordiale à la célébration de la liturgie dans la pratique de leur foi, comme le manifestent deux récents sondages parus dans La Croix?: en mai 2023, 24?% des inscrits aux JMJ de Lisbonne affirmaient aller à la messe plusieurs fois par semaine. Quant aux futurs prêtres interrogés en décembre?2023, ils sont 70?% à placer la célébration des sacrements au cœur de leur mission. » Soyons juste : La Croix ne parle pas des mêmes jeunes que Mgr García. Ces jeunes, plus ou moins identitaires, qui redécouvrent la liturgie, plus ou moins à l’ancienne, Mgr García, bugninien de l’époque Bergoglio, ne le voit pas. Ils ne l’intéressent pas.

Sophie Le Pivain cite largement dans son article le P. Gilles Drouin, directeur de l'Institut Supérieur de Liturgie, qui s’était fait remarquer par une tribune sur le site de l’Institut catholique de Paris (Pour ne pas céder à la nostalgie, il faut "former, former et encore former". Un appel du directeur de l'ISL - ICP). Certes, dans cette tribune l’abbé Drouin attaquait durement les manifestations qui demandaient la liberté de la messe, organisées selon lui par « les héritiers de l'intransigeantisme catholique », pour lesquels « la liturgie devient l'étendard de revendications et de nostalgies qui ne relèvent pas uniquement de l'ordre liturgique. »

Mais Gilles Drouin est français et son regard est autrement plus nuancé que celui de García, pas le sergent, l’évêque. Christian Marquant confiait qu’il tenait de l’abbé Drouin lui-même, que sans renier cette tribune, celui-ci avait pris ses distances avec les propos qu’elle contenait. Ce que les citations du directeur de l’Institut supérieur de Liturgie données par Sophie Le Pivain confirment. «?À 60?ans, j’en ai moi-même fait l’expérience?: il est bien mieux perçu de se dire intéressé par la liturgie aujourd’hui qu’il y a quarante ans?!?», et cet intérêt a dépassé les frontières du traditionalisme ou des milieux classiques où il était cantonné.

En fait, sans le dire, les propos d’Anne Le Pivain reflètent cet étonnement des responsables liturgiques français actuels, dont Gilles Drouin, qu’ils soient experts dans les instances liturgiques parisiennes, responsables de la Conférence des Évêques, évêques de terrain, devant le fait que la liturgie traditionnelle attire les jeunes. C’est encore La Croix, où une nouvelle génération de journalistes perçoit bien ce phénomène qui inquiète nos prélats, qui titrait le 25 mai 2023, à propos du succès toujours plus grand du Pèlerinage de Chrétienté à Chartres : « Messe tradi : un rite qui attire les jeunes catholiques » (Messe « tradi » : un rite qui attire les jeunes catholiques (la-croix.com)).

L’article d’Anne Le Pivain vient d’ailleurs offrir à ces responsables ecclésiastiques décontenancés une tentative de parade, en relativisant le phénomène. D’abord, elle explique que l’intérêt des jeunes se porte d’abord vers la liturgie « soignée » et donc aussi vers la liturgie traditionnelle. Ensuite, lorsqu’elle fait des allusions dans son article à la liturgie ancienne, c’est systématiquement pour dire que ceux qui la fréquentent aiment aussi la liturgie nouvelle quand elle est « belle » (« À l’instar de Clotilde, Parisienne de 30?ans qui a gardé de son enfance dans une famille « tradi » un « respect infini pour la messe de saint Pie?V ». Pour autant, la jeune femme pratique sa foi sous les deux formes avec beaucoup de souplesse?: « J’aime la beauté, le silence et le respect immense pour l’Eucharistie que je ressens dans la forme extraordinaire. Mais j’aime aussi beaucoup la louange, la joie et la légèreté que je trouve dans la forme ordinaire.?» ). Enfin, en citant Gilles Drouin, Anne Le Pivain met le phénomène en rapport avec la recherche individualiste postmoderne pour le « développement personnel », car « la liturgie, ça fait du bien. » Comme dit Gilles Drouin : «?Cet intérêt pour la liturgie, dans le sillage du monde traditionaliste, mais aussi du pentecôtisme, notamment dans les communautés très vivantes d’origine africaine ou antillaise, est très lié à la postmodernité. »

En tout cas, l’article montre qu’on ne peut plus ignorer qu’il y a un grand mouvement de « retour » chez les jeunes catholiques d’aujourd’hui vers les formes liturgiques classiques : « À Lille, ils sont ainsi 600 à 800 étudiants chaque semaine à pousser les murs de la chapelle de la Catho pour une messe célébrée à 22?heures à la lueur des bougies et animée par une chorale polyphonique, dans une ferveur «?immense?», rapporte avec étonnement La Voix du Nord du 16?mars dernier. Sur le réseau X, des catholiques en vue, et de toutes sensibilités, débattent et plaisantent avec flamme du format des prières universelles, du sens de l’octave pascale, du genre des servants de messe ou de l’innovation en matière de chant liturgique… »

Des jeunes lillois de « toutes sensibilités », qui ne craignent pas de fréquenter aussi l’église Saint-Etienne, desservie par l’Institut du Christ-Roi, où l’on chante trois matins par semaine les laudes, ou la chapelle Notre-Dame du Rosaire, desservie par la Fraternité Saint-Pie-X.


La copie et le modèle

« Pour beaucoup, note Anne Le Pivain, cette assiduité [à assister à la messe] s’accompagne d’un intérêt pour les rites et la gestuelle de la messe, avec un retour à des pratiques du passé. Dans les files de communion, il est devenu fréquent de voir des fidèles s’agenouiller pour communier sur la langue, et de nombreux jeunes prêtres reviennent à certaines formes liturgiques qui avaient été abandonnées, en revêtant par exemple un amict sous leur aube. » Un « retour à des pratiques du passé », à la communion à genoux et sur les lèvres, « à certaines formes liturgiques qui avaient été abandonnées ». Formes que l’on peut expérimenter dans toutes les villes françaises d’importance, dans une ou plusieurs églises, comme un modèle toujours bien vivant.

Lors du rassemblement de tous les séminaristes diocésains de France, à savoir pas tout à fait 600, du 1er au 3 décembre 2023, tout le monde, et notamment les évêques organisateurs, ont pu constater que ce petit reste était tout le contraire des générations formées dans les années de plomb d’après le Concile. Depuis longtemps, on voit d’ailleurs un certain nombre de ces séminaristes diocésains participer au pèlerinage de Chrétienté ou se glisser, à Paris, dans les rangs de fidèles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, de Saint-Roch ou de Saint-Eugène. Les organisateurs du rassemblement parisien les traitait en conséquence : le 2 décembre, à Saint-Sulpice, on leur a fait chanter la messe De angelis, Kyrie, Sanctus, Agnus, « Chez nous soyez Reine » en chant de sortie (voir : Rassemblement des séminaristes : la messe présidée par Mgr de Moulins-Beaufort - Riposte-catholique). Et KTO, le 3 décembre, KTO (Messe du rassemblement des séminaristes de France 2023 — KTOTV) nous les montrait en aube classique serrée par un cordon, parfois en soutane et surplis, mains jointes, à genoux dès la consécration, la plupart faisant une génuflexion avant de communier, la moitié recevant la communion sur les lèvres, et un quart au moins d’entre eux la recevant à genoux.

Peu de temps après ce rassemblement qui a donné in vivo l’image des séminaristes français d’aujourd’hui, La Croix, encore La Croix, publiait le 22 décembre 2023 un article sous le titre : « Qui sont les prêtres de demain ? », lequel donnait les résultats d’un questionnaire auxquels une part de ces séminaristes avaient accepté de répondre (Le Salon Beige 47 % des séminaristes diocésains ont fréquenté régulièrement ou occasionnellement une paroisse ou communauté traditionaliste - Le Salon Beige). Il en ressortait notamment que :

- 47 % d’entre eux avaient fréquenté régulièrement ou occasionnellement une paroisse ou communauté traditionaliste.

- Près de la moitié envisageaient de porter la soutane régulièrement, un quart occasionnellement.

- 34 % expliquaient ne rien avoir contre la messe traditionnelle.

- 14 % apprécieraient de célébrer selon les deux formes.

- Et 7 % de ces séminaristes diocésains préféraient la messe traditionnelle et espéraient la célébrer régulièrement.

Encore faut-il dans ces chiffres faire la part de la prudence extrême qui habite ces jeunes hommes quand on leur pose de pareilles questions : un institut de sondages spécialisé dans les questions posées aux séminaristes, s’il en existait, corrigerait ces pourcentages à la hausse…


Liberté pour la liturgie traditionnelle !

En fait, ces séminaristes ne sont pas très éloignés de ceux qui peuplent les séminaires traditionnels, tout comme les jeunes catholiques dont parle Anne Le Pivain, qui aiment les cérémonies belles et « rituelles » sont très proches de ceux qui se pressent de plus en plus nombreux dans les liturgies traditionnelles. Et souvent ce sont les mêmes.

Car il est clair que la référence implicite de ce « retour » vers une « liturgie belle » reste sans doute possible la liturgie d’avant le Concile. Il est non moins clair que ces jeunes décomplexés vont d’une forme nouvelle plus réac à une forme ancienne dûment estampillée, sans se soucier des interdits : Traditionis custodes ? Qésaco ?

Les promoteurs de l’usus antiquior que nous sommes auraient tort de penser que la partie est gagnée et que le modèle implicite qu’est ce rite romain va devenir soudain un modèle officiel de référence ramenant progressivement l’Église romaine vers sa vraie et pure lex orandi. Pour en arriver là, il faudra encore beaucoup de jeûne et de prière, car nous ne détenons aucun (presque aucun) levier de pouvoir dans l’Église de France.

En attendant, le rite ancien bénéficie, outre sa valeur magistérielle intrinsèque, de ce contexte nouveau de faveur diffus du monde catholique. Pas si nouveau que ça, d’ailleurs, puisque le bon peuple chrétien n’a jamais suivi les nouveautés que contraint et forcé. Il l’a souvent fait savoir à ses pasteurs bugniniens, notamment par ces piqures de taons que constituaient les sondages de Paix liturgique sur l’attelage fatigué de l’épiscopat de France et d’autres lieux. La nouveauté est qu’aujourd’hui il ne reste qu’une poignée de catholiques pratiquants, et notamment de jeunes catholiques pratiquants. De ce fait, les catholiques traditionnels, et surtout les jeunes catholiques traditionnels, sont de moins en moins minoritaires.

Le constat de Jean-Pierre Maugendre, Président de l'association Renaissance Catholique, dans son Appel pour la pleine liberté de la liturgie traditionnelle, devient de plus en plus évident pour tout le monde : « Parmi les éléments qui peuvent contribuer à la renaissance interne de l’Église et à la reprise de son développement missionnaire, il y a d’abord la célébration digne et sainte de sa liturgie, à laquelle peut puissamment aider l’exemple et la présence de la liturgie romaine traditionnelle » (Paix Liturgique France).

La réalisation concrète de la revendication qu’exprime le même Jean-Pierre Maugendre, non pas pour les « tradis », mais pour le bénéfice de l’Église toute entière et spécialement de sa jeunesse, devient donc possible : « Nous demandons simplement, au titre de la vraie liberté des enfants de Dieu dans l’Église, que soit reconnue la liberté pleine et entière de la liturgie traditionnelle, avec le libre usage de tous ses livres, afin que, sans entrave, dans le rite latin, tous les fidèles puissent en bénéficier et tous les clercs la célébrer. »

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