Notre lettre 963 publiée le 4 octobre 2023

LITURGIE TRADITIONNELLE

COMBIEN DE FIDELES EN FRANCE...

ET DANS LE MONDE ?

Bien que nous n'ayons pas publié de bilan de la liturgie traditionnelle en France et dans le Monde depuis 2019 ? il nous a semblé nécessaire de revenir sur la question du nombre des fidèles catholiques qui souhaitent vivre leur foi au rythme de la liturgie traditionnelle. Nous avons demandé à Christian Marquant, qui depuis de nombreuses années s'intéresse à ce sujet, de revenir sur ce thème qui, comme nous le verrons, reste d’une brulante actualité.


Louis Renaudin - Cher Christian, En quoi est-ce important de se poser la question de l'importance et donc du nombre des fidèles catholiques qui sont attachés à la liturgie romaine traditionnelle ?

Christian Marquant - En théorie cela n'a pas d'importance... personne, sauf des chercheurs savants, ne va s'intéresser au nombre des fidèles syro-malabar ou syro malankar ? ni au nombre de prêtres et de fidèles qui participent encore au rite ambrosien (réformé) à Milan, ou encore au rite mozarabe (bricolé) à Tolède et à Salamanque, car dans tous ces cas il n'y a ni polémique ni problème sous-jacent. Or, lorsque l'on se penche sur le nombre et donc implicitement l’importance de ceux qui veulent rester attachés à l'usus antiquior c’est-à-dire à la messe qui a été celle de toute la chrétienté latine depuis plus de 1000 ans l'on se trouve aussitôt dans un domaine polémique dont les enjeux sont assez considérables pour un grand nombre de Pasteurs et pour les membres du lobby « moderne ». On touche à la grande division qui affecte l’Église depuis Vatican II et à laquelle faisait indirectement allusion le Saint-Père lors du dernier consistoire dans son appel à l’unité. Appel pathétique sur une place Saint-Pierre presque vide…


Louis Renaudin – À quelle division faites-vous allusion ?

Christian Marquant - Depuis plus d'un demi-siècle, l'on fait croire au peuple catholique que tous les changements qui sont survenus dans la vie de l’Église depuis le concile Vatican II sont bons et surtout ont été acceptés, sinon voulus, avec enthousiasme par tous. De ce fait, le pauvre catholique isolé pensant différemment, croyant qu'il est seul à ne pas partager cette unanimité, s’est longtemps tu. Voilà pourquoi l’on a souvent appelé ces personnes les silencieux, ce qui a permis aux tenants des nouveautés d’affirmer que ceux qui s’opposent à ces évolutions n’existent pas. Ou presque pas.


Louis Renaudin - Mais ce n'est pas exact ?

Christian Marquant - C'est a minima exagéré et il me sera facile de démontrer que depuis les années 60/70 nous avons non seulement des indices mais des preuves que de nombreux catholiques n'ont pas accepté avec enthousiasme toutes les réformes entreprises « dans l’esprit du concile ».


Louis Renaudin - C’est-à-dire ?

Christian Marquant - C’est-à-dire que depuis presque 50 ans l'on sait qu'un quart au moins des catholiques français, sans présumer des autres, ne se sont pas retrouvés dans les bouillonnements fous et violents dans lesquels ils ont été plongés à partir du milieu des années 60. Cette sensation a eu pour effet qu'un grand nombre de ces fidèles, sans pour cela perdre leur foi catholique, se sont mis en retrait de leurs paroisses et de leurs diocèses.


Louis Renaudin - Pouvez-vous nous donner quelques illustrations de de ce retrait ?

Christian Marquant - Le plus patent est sans doute l'écroulement de la pratique dominicale - même si je veux bien croire que les réformes conciliaires n’aient pas été les seuls motifs – mais aussi la chute verticale de la générosité des fidèles pour des institutions ecclésiales dans lesquelles ils ne se reconnaissaient pas.


Louis Renaudin - Mais il y a beaucoup d'autres raisons comme vous le dites...

Christian Marquant - Tout à fait, mais la question de la générosité est particulièrement intéressante car l'on observe par ailleurs facilement que cette générosité est toujours restée vivante. Mais pas en faveur des diocèses et des paroisses : sans parler de la Communauté Saint-Martin ou d’autres œuvres « classiques » très florissantes, il suffit de voir l'aventure du Baroux hier ou celle de l'abbaye de Lagrasse aujourd'hui pour mesurer que la générosité des catholiques qui pratiquent encore existe toujours, même si ce n’est pas vers les diocèses et les paroisses qui souvent sont économiquement aux abois ce qui est bien compréhensible, si l’on se souvient qu’en leur temps elles ont chassé de leur sein les paroissiens récalcitrants.


Louis Renaudin - De quoi parlez-vous ?

Christian Marquant – Il faudra revenir un jour sur le fait qu’à partir de 1965 les paroisses ont pratiqué la chasse aux sorcières, l’exclusion parfois violente des clercs et des fidèles qui n’étaient pas en phase avec les réformes et qui n’étaient pas « dans la ligne », lesquels ont été parfois violemment chassés de leurs paroisses. Sans parler du bon peuple fidèle, attachés à ses dévotions et ses habitudes, pour lequel les clercs été laïcs conciliaires n’avaient que mépris. Ces paroisses n’ont pas hésité à accuser ensuite ces mêmes fidèles d’avoir quitté l’Église de leur plein gré… Les plus anciens s’en souviennent et il reste là une histoire à écrire. Une histoire terrible.


Louis Renaudin – Revenons, si vous le voulez bien, à la question des traditionalistes et pour commencer comment les définiriez-vous ?

Christian Marquant - D'une manière large comme ceux qui se sentent en harmonie avec l’esprit, la spiritualité et les formes de l'usus antiquior et de la foi catholique qu'ils expriment.


Louis Renaudin - Selon vous combien sont-ils ?

Christian Marquant - Pour y venir permettez-moi de poursuivre ma réflexion sur les temps de l'après-concile. Comme il fallait faire croire que tous les catholiques avaient été enthousiasmés par les nouveautés, la règle a été de ne pas tenir compte de ceux qui semblaient ne pas participer à cette « Nouvelle Pentecôte ». Mais un jour se posa la question de Mgr Lefebvre…


Louis Renaudin - En quoi la personne de Mgr Lefebvre intervient-elle dans cette histoire ?

Christian Marquant - C'est assez simple : en créant le séminaire d'Écône en 1970 et en poursuivant dans cette voie, Mgr Lefebvre, qui était évêque et s’était mis à faire des prêtres, était bien plus dangereux que les simples curés de paroisse restés fidèles au rite et au catéchisme ancien. Les modernes ont alors commis une lourde erreur.


Louis Renaudin - Laquelle ?

Christian Marquant - En s’intéressant violemment à ce sujet, en l’attaquant, en le raillant et en se moquant, il lui ont fait une énorme publicité, l’on fait connaitre aux catholiques du monde entier et en ont fait, en partie malgré lui, dont l’idée était surtout de refaire une congrégation pour former des prêtres, le porte-parole de ces fidèles silencieux que j’évoquais il y a un instant, qui souvent se croyaient seuls et qui découvrirent qu’ils étaient nombreux à être de ces catholiques perplexes. Mgr Marcel Lefebvre devint en quelques sorte leur porte–drapeau, celui de leur scepticisme et de leurs inquiétudes et cela a continué crescendo, jusqu’à l'été chaud de 1976 au cours duquel Mgr Lefebvre ordonna ses premiers prêtres non incardinés dans des diocèses, comme il l’avait fait précédemment pour les premiers prêtres de sa Fraternité. Mais celle-ci a été dissoute, et les ordinations lui ont été interdites. Il a passé outre et a été frappé d’une suspense a divinis (interdiction de célébrer des sacrements).


Louis Renaudin - Où voulez-vous en venir ?

Christian Marquant - L'affaire Lefebvre, comme on disait à l’époque, était devenue en 1976 un sujet d'actualité majeure en France mais aussi dans le monde. C'est dans ce contexte hyper médiatisé - car pour lutter contre « Lefebvre » toute la presse catholique et bien d’autres étaient montés au créneau contre le prélat d’Écône (et n’oublions pas qu’à l’époque il n’existait pas les contre-feux que sont aujourd’hui les réseaux sociaux et Internet). C’est dans ce contexte que le quotidien Le Progrès, journal de Lyon, tout à fait étranger aux questions ecclésiastiques, en août 1976, commandita à L'IFOP un sondage d'opinion auquel nous avons consacré il y a quelques années quatre de nos lettres que je ne pourrais que vous conseiller de relire attentivement (liens vers les lettres 697/698/699/701).


Louis Renaudin - Pourriez-vous nous en donner les résultats ?

Christian Marquant - Pas facile mais, en quelques phrases, les informations qu’il nous fournit peuvent se résumer ainsi :

1 – En 1976, 48 % des catholiques pratiquants estiment que l’Église est allée trop loin dans ses réformes ;

2 – En 1976, 42 % des catholiques pensent que les réformes ont eu pour effet d’éloigner l’Église de sa doctrine originelle ;

3 – En 1976, 26 % des catholiques pratiquants approuvent les positions de Mgr Lefebvre face aux applications des décisions du Concile ;

Et en conclusion :

4 – En 1976, 52 % des catholiques pratiquants se déclarent « inquiets » de la situation de l’Église.


Louis Renaudin - Incroyable…

Christian Marquant – Surtout dix années après le concile et après un matraquage médiatique et psychologique énorme qui voulait faire croire au monde entier que tout était parfait et joyeux dans le monde catholique. En fait, ce fut une vraie révélation de l’importance de la profondeur du malaise au sein de l’Église catholique. Le Peuple chrétien, au moins pour moitié, « ne suivait pas ».


Louis Renaudin - Un sondage qui signifie que tout n’était pas rose dans l’Église de France 10 après le concile...

Christian Marquant – Le pseudo enthousiasme unanimiste était à minima remis en cause en mettant en lumière l’importance du nombre de ceux qui « ne suivaient pas », et même qui, pour 26% des catholiques pratiquants, approuvaient explicitement les positions de Mgr Lefebvre.


Louis Renaudin - La révélation de manipulations, de mensonges et d’impostures...

Christian Marquant – C’est archi-classique dans le monde moderne. Généralement, c’est sans effet. La caste au pouvoir continue imperturbablement. Mais dans l’Église des années 70, la grande dépression du nombre des pratiquants, des séminaristes, des ordinations, battait son plein. Les « départs » de prêtres se multipliaient. Terrible donc pour les hommes de bonne volonté a été cette révélation.


Louis Renaudin - Mais quelles en ont été les conséquences ?

Christian Marquant – Qu’a répondu l’Église de France à ces 26% de catholiques pratiquants – c’est à dire le quart des fidèles pratiquants - pour calmer la situation ou leur fournir un espace ? La seule réponse est celle du négationnisme : ces personnes n’existaient tout simplement pas. Notre lettre 701 a évoqué ce sujet en proposant une réponse : comme il n’était plus possible de nier la réalité il fut décidé en haut-lieu, c’est-à-dire au sein de la Conférence des Évêques de France, de changer de stratégie, c’est-à-dire de ne plus parler de ce sujet et avec « ces gens-là » et de se cantonner désormais à celle du silence négationniste.


Louis Renaudin - C’est-à-dire ?

Christian Marquant - De faire comme si ces gens-là, laïcs et prêtres n’existaient pas.


Louis Renaudin - Un déni de réalité…

Christian Marquant – Cependant la réalité continuait non seulement d’exister, mais le grand refus ne cessait de se développer en France et dans le monde. Un jour vint ou Mgr Lefebvre, toujours dans son idée de faire des prêtres, eut à décider, en 1988, de se donner des successeurs en sacrant des évêques pour lui succéder et poursuivre son œuvre de sauvegarde du sacerdoce catholique.


Louis Renaudin - Était-cette une bonne ou une mauvaise chose ?

Christian Marquant - Ce n’est pas à moi de vous répondre. C’est l’avenir qui le dira dans lorsque les historiens et les pontifes se pencheront sur ce sujet. Il n’en reste pas moins que cette situation eut d’heureuses conséquences, notamment celle de la promulgation par le pape Jean-Paul II du motu proprio Ecclesia Dei.


Louis Renaudin - Qui disait ?

Christian Marquant – Qui comprenant que les choses devenant sérieuses, il fallait changer de méthodes notamment en donnant dans l’Église une place officielle à ceux qui jusque-là « n’existaient pas ». Ainsi fut constituée une commission Ecclesia Dei qui eut à intégrer au sein de l’Église et à gérer des communautés religieuses et sacerdotales qui, souhaitant rester en communion officielle, et devenaient ainsi un troupeau légal pour nos pasteurs.


Louis Renaudin - Qu’est-ce que cela changea ?

Christian Marquant – Beaucoup de choses, car les évêques qui, entre 1976 à 1988, avaient pu nier toute réalité « traditionaliste » au sein de l’Église se retrouvaient du jour au lendemain tenus de reconnaitre et d’intégrer dans leurs diocèses, bon gré, mal gré, parfois de très mauvais gré, des centaines de prêtres et de chapelles qu’il fallait bien accepter.


Louis Renaudin – Tant que cela ?

Christian Marquant – Rien qu’en France ce furent plus de 130 églises, chapelles et leurs fidèles qui jouirent, du jour au lendemain, d’un statut officiel au sein de l’Église de France.


Louis Renaudin – Nés de rien ?

Christian Marquant – Pas du tout ! Il s’agissait de communautés qui s’étaient constituées dans la périphérie ou au sein du courant né de l’œuvre de Mgr Lefebvre et qui ne suivirent pas sa décision de sacrer des évêques pour lui succéder, ou en tout cas qui furent ravis de devenir « officiels ».


Louis Renaudin - Quelles conséquences cela eut il pour notre question de la mesure du nombre des traditionalistes ?

Christian Marquant – L’obligation pour les autorités ecclésiastiques d’admettre enfin l’existence au sein de l’Église de France d’un nombre minimal de traditionalistes. C’était une nouveauté car jusqu’alors soit les négationnistes allaient jusqu’à dire que les traditionalistes n’existaient tout simplement pas, soit, pour les plus malveillants, qu’ils ne voyaient en eux que des schismatiques sans rapport avec l’Église catholique. (et tant pis pour la contradiction avec l’œcuménisme pour les frères séparés : pas d’œcuménisme pour les ennemis de l’œcuménisme !)


Louis Renaudin - Comment émergea cette première concession de l’existence de traditionalistes catholiques officiels dans l’Église de France ?

Christian Marquant – Ce fut Mgr Michel Moutel (https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Moutel), alors évêque de Nevers, qui était l’évêque en charge des « traditionalistes » au sein de la conférence des évêques de France, qui je pense élabora le premier un système qui a toujours cours aujourd’hui chez la plupart de nos pasteurs pour comptabiliser les fidèles traditionalistes.


Louis Renaudin - Et quel était de système?

Christian Marquant – Aussi simple et logique qu’inexact. Il suffisait pour lui de mesurer le nombre des pratiquants des chapelles où ils se réunissaient. Comme il existait à l’époque environ 140 chapelles « traditionnelles » reconnues par les évêques, il mesura leurs pratiquants et atteignit un chiffre d’environ 35 000 fidèles, ce qui lui permit d’affirmer « qu’en étant large et généreux » il admettait qu’il pouvait y avoir en France à peu près 50.000 traditionalistes.


Louis Renaudin - Était-ce inexact ?

Christian Marquant – Absolument inexact mais le mode de calcul perdura.


Louis Renaudin - Au sein de la CEF ?

Christian Marquant – Au sein de la CEF et même chez certains de nos amis… Par exemple Christophe Geffroy dans La Nef de 2021 tombe dans le même panneau en partant des mêmes calculs. Je résume sans malice son calcul publié dans son numéro de 2021 consacré aux Traditionnalistes (https://lanef.net/2021/07/02/les-tradis-lenquete-de-la-nef/ ) : on compte en France en 2021 environ 250 lieux de culte traditionnel qui réunissent environ 50 000 fidèles mais sachant que certains n’ont pas accès à la messe « il ne semble pas déraisonnable d’estimer l’ensemble des fidèles tradis en France à environ 60 000 ». 10.000 de plus que Moutel : c’est toujours ça…

Dormez donc tranquille, Messeigneurs et bonnes gens, les tradis ne croissent pas... Mais le plus terrible est que la publication de notre ami Christophe Geffroy permet aux ennemis de la paix, en s’appuyant sur ses informations « de l’intérieur », de reprendre ses données comme argent comptant.


Louis Renaudin – Vous croyez ?

Christian Marquant – La Croix reprend tranquillement ce chiffre très confortable de 60 000 (hors lefebvristes, tout de même, ce qui le double) dans leur numéro du 27/01/2023 (https://www.la-croix.com/Religion/galaxie-traditionaliste-2023-01-25-1201252251).


Louis Renaudin – Mais d’autres font des calculs plus positifs…

Christian Marquant – Oui, d’abord intégrant les « lefebvristes ». « D'après diverses études et sondages, il est estimé que les catholiques traditionalistes ne représentent qu'environ 5% de l'ensemble des catholiques français pratiquants. Si l'on prend l'estimation du nombre de catholiques pratiquants (2,5 millions) et que l'on regarde ce que représente 5% de cette population, on obtient le nombre de 125 000 catholiques traditionalistes soit 0,18% de la population française. » Jean-Benoît Poulle, agrégé d’histoire, cité par Céline Hussonnois-Alaya, dans « "Ça s’insinue petit à petit" : Les traditionalistes gagnent-ils du terrain dans l’Église » (BFMTV, 9 avril 2023), estime de son côté le nombre des traditionalistes français entre 100.000 et 200 000.


Louis Renaudin – Mais j’ai bien compris que vous n’êtes pas satisfait par ce mode de comptage : pourquoi ?

Christian Marquant – Imaginez que l’on se serve, pour connaitre le nombre des catholiques français, seulement du nombre de ceux qui pratiquent… Ce serait ridicule car l’on sait aujourd’hui que moins de 5 % des catholiques français sont des pratiquants… et l’on n’arriverait qu’à un chiffre de 2,5 à 3 millions de catholiques ce qui est parfaitement faux (les sondages dont nous parlerons plus tard en donne un chiffre assez précis).


Louis Renaudin - Mais les traditionalistes…

Christian Marquant – Retenez-bien que je n’ai jamais défini les traditionalistes comme des pratiquants mais comme des personnes se reconnaissant catholiques qui sont attachés aux formes anciennes et traditionnelles de la liturgie et de la foi.


Louis Renaudin – Mais pas tous pratiquants donc.

Christian Marquant – Ils pratiquent plus que les autres, mais pas toujours selon leur préférence. Or, il se trouve en France encore environ 4 500 paroisses (je ne parle pas de clochers mais de paroisses souvent 10, 20, 40 clochers, dans des cas extrêmes plus encore) alors que la liturgie traditionnelle n’est célébrée que dans un peu plus de 450 chapelles (en y incluant bien évidemment celles de la Fraternité Saint Pie X qui parfois sont les seuls dans tout un diocèse…), c’est-à-dire dans moins de 10% des territoires des paroisses de France. L’on peut donc affirmer que 90% des catholiques traditionalistes qui souhaiteraient assister à la liturgie traditionnelle dans leur paroisse ne le peuvent simplement pas.


Paix Liturgique : Ce qui, si je vous écoute et si l’on avait la messe traditionnelle dans à 100 % des paroisses, signifie que l’on pourrait élargir le nombre des traditionalistes pratiquants à 600 000 fidèles ?

Christian Marquant – Ce qui serait un chiffre raisonnable pour mesurer les traditionalistes, et certains sites plus honnêtes que d’autres le reconnaissent implicitement. Si par exemple vous consulter le site suisse cath.ch ( https://www.cath.ch/newsf/que-representent-les-tradis-dans-le-monde/ ) vous verrez que celui-ci, pour mesurer la réalité des groupes traditionalistes dans le monde, fait un rapport sur le nombre des chapelles, par pays et dans le monde, où les traditionalistes peuvent accéder à l’usus antiquior. Il explique que le petit nombre de lieux disponibles est sans doute une explication à l’incohérence des calculs des seuls « pratiquants » de la messe traditionnelle. D’une certaine manière, l’importante proportion des pèlerins de Chartres qui ne pratiquent pas ordinairement selon la forme traditionnelle s’explique aussi et très largement par… le manque de chapelles qui offrent l’usus antiquior aux fidèles près de chez eux.


Paix Liturgique : Mais pourquoi n’y a-t-il-pas plus de chapelles où est célébrée la liturgie traditionnelle ?

Christian Marquant – Il faut savoir qu’il est difficile et souvent très couteux de mettre en place de nouvelles chapelles, surtout si nos pasteurs si opposent ou freinent des quatre roues.


Louis Renaudin – Mais pourquoi le font ils ?

Christian Marquant – Parce que, malgré tout, en cinquante ans, ils n’ont pas changé : soit ils ne nous accordent pas de nouvelles célébrations sous le fallacieux prétexte que nous n’existons pas. Et quand ils nous accordent ce que nous demandons, ils constatent, souvent avec effroi, que nous sommes beaucoup plus nombreux qu’ils ne le disaient et même qu’ils ne le pensaient.


Louis Renaudin - Et pourtant même ce chiffre de 600 000 traditionalistes pour la France ne vous convient pas...

Christian Marquant – Non, parce qu’il ne reflète pas le nombre des pratiquants potentiels qui se révèleraient en France si s’instaurait une période de paix.


Louis Renaudin - C’est-à-dire selon vous si il y avait des messes traditionnelles dans les 4.500 paroisses de France.

Christian Marquant – Je le crois tout à fait en effet si par exemple au moment de la promulgation du motu proprio Summorum Pontificum, petit à petit, l’on avait mis en place des messes traditionnelles dans toutes les paroisses de France, nous serions en deux ou trois ans arrivés à ce chiffre. Pour commencer, on pouvait, comme l’avait proposé pour Paris Mgr Patrick Chauvet, alors vicaire épiscopal pour l'usage de la forme extraordinaire, en 2009, lors d'une réunion du GREC (groupe de rencontre entre catholiques), à célébrer une messe par doyenné.

D’ailleurs, je m’appuie sur mon expérience : chaque fois qu’une liturgie traditionnelle est instaurée par un prêtre bienveillant, à un horaire familial, dans un bassin de population d’au moins 50 000 habitants, en deux ou trois ans le nombre des fidèles avoisine ou dépasse, et plus rapidement encore « en ville » la centaine d’âmes.

Je peux vous citer cette conversation humoristique et sérieuse à la fois avec un prêtre d’une grande ville qui avait permis une messe traditionnelle dans sa paroisse pour une occasion déterminée : « – Quel dommage, Mon Père, qu’il n’y ait pas comme cela une messe tous les dimanches dans votre paroisse – Impossible, mon bon Monsieur, au bout de trois semaines, l’église serait archicomble et je serai muté par l’évêché. »


Louis Renaudin – Mais tout de même, Christophe Geffroy ne compte qu’une centaine de demandes insatisfaites en France.

Christian Marquant – Et il a raison. Il ne reste qu’une centaine de demandes insatisfaites. C’est à dire de paroisses où existent des héros, sortes de « veilleurs » qui, depuis 10 ou 20 ans ou plus, contre vents et marées, insultes et calomnies, continuent à implorer leurs pasteurs. MAIS EN REALITE IL EXISTE DES DEMANDEURS IMPLICITES DANS LA TOTALITE DES PAROISSES DE France. Je le répète, ces demandeurs implicites sont des hommes et des femmes ordinaires, des catholique du rang qui fréquentent encore les églises.


Louis Renaudin – En effet il y a les sondages commandités par Paix liturgique depuis l’an 2000…

Christian Marquant – Tout à fait… Il y a eu les sondages de Paix liturgique réalisés en France qui ont magnifiquement éclairé les hommes de bonne volonté qui ont eu l’humilité et le courage de s’y intéresser.


Louis Renaudin – Rappelez-nous ce que sont ces sondages.

Christian Marquant – Et bien entre 2001 et 2019 ont été commandités par Paix liturgique auprès d’organisme professionnels et indépendants 3 sondages concernant la France entière et plus d’une vingtaine de sondages diocésains et/ou paroissiaux qui ont tous donné à peu de chose près les mêmes résultats.


Louis Renaudin – Qui sont ?

Christian Marquant – En voici un court résumé pour une population qui se considère encore comme catholique à environ 57% ( C'est à dire en 2023 plus de 38 millions de personnes pour une population actuelle de 68 millions de français - Ce qui, comme je le disais plus haut, est bien différent du nombre des catholiques pratiquants français).

1 – de 25 à 35 % des catholiques pratiquants répondent qu’ils iraient volontiers chaque dimanche et fête à une messe traditionnelle si celle-ci était célébrée DANS LEUR PAROISSE ;

2 – 75 % des fidèles pratiquants trouvent normal que ceux qui le souhaitent puissent le faire ;

3 – Et seulement de 10 à 15 % des catholiques s’opposent à ce que j’appellerais une situation apaisée ;


Louis Renaudin – Quelles leçons en tirez-vous ?

Christian Marquant – La première nous éclaire sur le fait que nos pasteurs, contrairement à toutes leurs déclarations, n’écoutent pas la voix du peuple fidèle, la craignent même et la méprisent. À l’image de ce qui se passe dans la société politique, à laquelle ils se montrent en toute occasion ralliés, ils appliquent leur programme idéologique de manière dictatoriale.


Louis Renaudin – Ensuite...

Christian Marquant – Que les fidèles du XXIe siècle (ce qui reste de fidèles) pensent grosso modo comme leurs prédécesseurs depuis le Concile, à savoir comme ceux qui se sont exprimés en 1976 avec le sondage du progrès de Lyon.

Ils pensent que l’Église a été trop loin dans ses changements, ce qui fait que beaucoup sont partis sur la pointe des pieds car ils ne sont plus en phase avec leurs pasteurs. Les autres, qui continuent à pratiquer sont profondément insatisfaits.


Louis Renaudin – Et ils s’expriment dans vos sondages ?

Christian Marquant – Un peu à la manière d’un votre protestataire. Nous les connaissons. Ils subissent souvent des catéchèses vides et des liturgies insipides. MAIS ILS SONT LA !!!! Et ce sont eux qui assisteraient volontiers à la messe célébrée selon l’usus antiquior si elle était demain célébrée dans leur paroisse. Les voilà nos 600.000 pratiquants traditionalistes : les 25 à 30 % des pratiquants français qui assisteraient chaque dimanche à l’usus antiquior… A LA CONDITION QUE CELLE-CI SOIT CELEBREE DANS LEUR PAROISSE !!!!!


Louis Renaudin – Mais tout cela n’est-il vrai que pour la France ?

Christian Marquant – Ah cher Louis, vous voulez me faire dire que Paix liturgique a étendu son enquête dans plus de 10 pays d’Europe et d’ailleurs. En Italie, en Espagne, en Allemagne, en Pologne, en Suisse, en Grande-Bretagne, au Portugal, ...


Louis Renaudin - et aussi dans le monde entier...

Christian Marquant – Aux Etats-Unis, au Brésil, en Corée, et même en Angola.


Louis Renaudin – Pour quel résultat ?

Christian Marquant – Toujours plus ou moins les mêmes c’est-à-dire 20 à 25 % des fidèles qui expriment leur désir de vivre leur foi catholique au rythme de la liturgie traditionnelle. Le plus fort est que, dans bien des cas, ils ne la connaissent plus depuis longtemps, et pour les jeunes, ils ne l’on jamais connue. Mais le monde est devenu un village, un village Internet. On peut le regretter, mais il y a aussi d’heureux effets. Dans le monde entier, on sait que la messe en latin existe et qu’elle est beaucoup mieux que la messe à laquelle on assiste tous les dimanches, comme une cathédrale est beaucoup mieux qu’un hangar.

C’est notamment le cas en Corée ou en Angola. En fait, cette liturgie correspond profondément au sensus fidei du peuple catholique. Entre 1630 et 1873, 30.000 catholiques japonais « catholiques cachés » ont sans prêtres, en attente de prêtres. Bien des catholiques d’aujourd’hui sont des « traditionalistes cachés », qui vivent en attente d’une messe digne de ce nom.


Louis Renaudin – Mais alors pourquoi Traditions custodes ?

Christian Marquant – À cause de cela, justement ! Traditionis custodes est une malheureuse tentative de freiner la contagion du retour des fidèles vers la messe d’avant (et par le fait, vers le catéchisme d’avant) et d’une part non négligeable du clergé vers l’usus antiquior qui est une très pure illustration de la foi catholique. Et cela surtout après qu’en 2007 le pape Benoit XVI, pour le bien de la paix mais aussi devant l’évidence de la réalité d’un retour aux éléments catholiques traditionnels, avait publié le motu proprio Summorum Pontificum, qui supprimait – au moins en théorie car beaucoup d’évêques s’y sont opposés- les derniers obstacles au retour de la liturgie traditionnelle, et donc de la foi traditionnelle, dans l’Église. Nous savons que ce fut un succès considérable et très prometteur : en 10 ans, de 2007 à 2017, le nombre des messes traditionnelles dominicales a doublé dans le monde. De nouveau, on a vu le peuple chrétien à genoux à la messe, qui est un vrai sacrifice, renouvelant sacramentellement sur l’autel, lors de chaque messe, le sacrifice de notre Dieu et Seigneur s’offrant pour le pardon de nos péchés au Golgotha.


Louis Renaudin – Pour conclure ?

Christian Marquant – Je reprendrais bien la conclusion de mon bilan 2019 de la situation de la liturgie traditionnelle dans le monde (lien vers la lettre 684) en affirmant que le nombre des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle dans le monde ne peut pas être inférieur à celui de 10% des catholiques, c’est à dire au moins 130 millions de fidèles en ajoutant que les deux tiers au moins des autres catholiques du monde ne voient aucun mal à cela.


Louis Renaudin – Et …

Christian Marquant – … il faut que cesse notre dhimmitude. N’ayons pas peur ! Nous ne sommes pas un petit reste ou un groupe de quelques agitateurs, mais la partie visible d’un peuple immense : les catholiques traditionnels en France sont des millions, même si beaucoup ne peuvent non seulement pas pratiquer aujourd’hui mais même souvent ne peuvent pas bénéficier de funérailles comme ils le souhaiteraient.


Au fond, nous demandons peu de chose : nous demandons simplement la liberté d’être catholiques dans l’Église catholique.

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