Notre lettre 918bis publiée le 11 février 2023
Sermon du 31 janvier 2023
donné à l’occasion de la Messe solennelle de Requiem
pour le repos de l’âme
du défunt pape Benoît XVI (1927-2022)
par Mgr Michael Schmitz,
Vicaire Général
de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre,
ordonné prêtre par le défunt Pontife,
alors Préfet
de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi
Qui était Benoît XVI?? Il ne sera pas facile de répondre à cette question concernant une personnalité aussi auguste et éminente, même pour des personnes qui l’ont assez bien connu. Dans les années de son Pontificat suprême, il était proche de notre Institut, il appréciait surtout nos Supérieurs qui l’ont pu rencontrer en plusieurs occasions et dont il se rappelait toujours avec grande amabilité. Encore quelques semaines avant sa mort, il avait eu la bonté de m’envoyer un livre avec une dédicace personnelle, lors de l’anniversaire de mon ordination qu’il avait célébré dans sa première année comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Tout cela nous a beaucoup touché et encouragé, mais ne nous donne guère le droit de répondre à cette question délicate?: Qui était Benoît XVI??
C’est pourquoi nous voulons laisser Sa Sainteté Benoît XVI expliquer lui-même qui il était et qui il est. Pour arriver à ce but, nous suivrons les paroles de son Testament spirituel, rédigé peu après son élection comme pape en août 2006.
Dans ce testament spirituel, il nous apparaît d’abord comme l’homme simple qu’il est toujours resté, même si le Seigneur l’a élevé à la plus haute dignité sur Terre. Chaque pape, nous le savons trop bien, à commencer par saint Pierre, puis tout au long de l’histoire de la Papauté, reste aussi homme. Ce sont les paroles d’un homme simple et bon qui nous frappent en plein cœur au début de ce testament spirituel.
Tout d’abord, en tant qu’homme, il remercie ceux qui lui ont donné la vie, à savoir ses parents. Et il trouve des mots touchants, car il leur doit non seulement la vie, mais aussi la foi. Il dit?:
Je remercie mes parents qui m’ont donné la vie en des temps difficiles et qui, au prix de grands renoncements, m’ont préparé par leur amour un merveilleux foyer qui, comme une lumière brillante, illumine tous mes jours jusqu’à aujourd’hui. La foi clairvoyante de mon père nous a appris à croire, à nous les frères et sœurs, et a tenu bon comme guide au milieu de toutes mes connaissances scientifiques. La piété chaleureuse et la grande bonté de ma mère restent un héritage pour lequel je ne pourrai jamais assez rendre grâce.
Nous avons vu Benoît XVI toujours comme un homme profondément croyant. En tant que professeur d’université — et cela ne va pas de soi — il a conservé la foi que ses parents lui avaient donnée. En tant qu’archevêque de Munich, il a souvent prêché sur l’intégrité de la foi et sur la piété populaire, et en tant que pape, il a donné le témoignage d’une foi inébranlable, une foi qui restait à jamais profondément enracinée dans sa fine humanité et dans sa vaste culture.
Pour ce don de la foi, il remercie avec une ferveur particulière sa patrie bavaroise. À la différence de beaucoup d’autre régions de l’Allemagne, la Bavière, toute comme la Rhénanie, est restée longtemps catholique et croyante, malgré la soi-disant Réforme et de nombreux troubles historiques. Le peuple bavarois a conservé la foi dans une piété populaire qui perdure encore aujourd’hui. C’est en tout cas la conviction de Benoît XVI quand il dit?:
Je voudrais remercier le Seigneur pour la belle patrie dans les Préalpes bavaroises, dans laquelle j’ai toujours pu voir transparaître la splendeur du Créateur lui-même. Je remercie les habitants de ma patrie de m’avoir toujours permis d’expérimenter auprès d’eux la beauté de la foi. Je prie pour que notre pays reste une terre de foi, et je vous demande, chers compatriotes, de ne pas vous laisser détourner de la foi.
C’est cette foi qu’il a essayé de faire conserver à toute l’Église, cette foi profonde, authentiquement catholique, qui doit être préservée par chaque pape, parce qu’elle lui évite de désespérer lorsque son ministère devient difficile et sa haute mission une croix.
Benoît XVI a été un homme, un homme profondément croyant. Mais, comme il le confesse lui-même, il était aussi un homme pécheur. C’est pourquoi il termine la première partie de son testament spirituel par ces mots?: « À tous ceux à qui j’ai fait du tort d’une manière ou d’une autre, je demande pardon du fond du cœur ». L’homme de foi sait qu’il est faible et qu’il a des limites. Il doit demander pardon, et ce pardon lui sera certainement accordé s’il est pape, quand bien même, en tant qu’homme, il n’aurait pas toujours été à la hauteur de toutes les graves exigences de la papauté.
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Dans une deuxième partie du testament spirituel, Benoît XVI parle en théologien. C’est sa longue expérience académique qui parle, c’est le professeur d’université allemand qui apparait. Appelé à enseigner dans les Facultés dès l’âge de 29 ans, il a toujours été lié à la science, mais il a été, comme saint Augustin dont sa pensée était proche, un théologien priant. Il n’a pas toujours trouvé tout de suite la bonne voie dans les moments de confusion générale avant et après le dernier Concile, mais la foi l’a ramené sur le bon chemin, et, avec l’humilité digne d’un successeur de Pierre, il a reconnu les erreurs qu’il avait commises en tant que jeune professeur. Comme Pontife Romain, son enseignement magistral de la foi ainsi que sa profonde culture générale ont impressionné non seulement l’Église, mais le monde entier.
Son expérience universitaire l’a rendu très conscient du fait que, particulièrement aujourd’hui, la science crée souvent plus de confusion qu’elle ne donne de directives. Motivé par cette douloureuse connaissance, il nous dit?:
Ne vous laissez pas embrouiller. J’ai assisté de loin aux transformations de la science naturelle et j’ai pu voir comment des certitudes apparentes contre la foi fondaient, se révélaient être non pas de la science, mais des interprétations philosophiques donnant seulement l’apparence de la science. […] J’ai vu et je vois comment la raison de la foi a émergé et émerge à nouveau de l’enchevêtrement des hypothèses exégétiques. Jésus-Christ est vraiment le Chemin, la Vérité et la Vie — et l’Église, dans toutes ses imperfections, est vraiment son Corps.
Ce témoignage personnel du Pontife montre également que, dans sa vie, il a toujours voulu protéger la foi. En tant qu’archevêque de Munich, il a fait de la proclamation de la foi le centre de son activité?; en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi à Rome, il a protégé la foi catholique avec des documents précieux, comme il a voulu le faire dans ses encycliques pontificales, car il savait et enseignait sans cesse qu’il ne peut jamais y avoir de contradiction entre la vraie foi et la vraie science. Si la science semble contredire la foi, il faut l’approfondir, car ce n’est que lorsqu’elle est en harmonie avec la foi qu’elle peut aller en profondeur et trouver toute la vérité.
Nous ne sommes donc pas surpris si une phrase décisive et courte de son testament spirituel, dans laquelle il s’adresse finalement à tous en tant que pape, évoque à nouveau la fidélité à la foi catholique?: « Je dis maintenant à tous ceux qui ont été confiés à mon service dans l’Église?: Restez forts dans la foi ». C’est ce qui a fait tout son pontificat?: il voulait que le monde reste ferme dans la foi, il voulait que tous ceux qui étaient loin de la foi la retrouvent, il voulait, comme le Prince des Apôtres, renforcer dans la foi ses frères dans l’épiscopat. C’est en cela qu’il n’a pas toujours été compris, c’est en cela qu’il a souvent été rejeté, c’est cela qui a fait sa grande croix. Mais c’est le souhait qu’il nous laisse aujourd’hui encore?: « Restez forts dans la foi ».
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Cette volonté de rester fort dans la foi, il l’a montrée pendant son pontificat en plusieurs manières, mais notamment à travers deux grands thèmes.
Tout d’abord, il a voulu redonner la place centrale dans l’Église à sa tête, à Jésus-Christ et au mystère de l’Incarnation. Ses livres sur Jésus ont été pour beaucoup de nos contemporains une raison de rencontrer le Seigneur, de se repentir et de se convertir. Sa prédication infatigable et profonde de la foi en Jésus Christ a permis à beaucoup de redécouvrir l’Eglise comme porte pour la vie éternelle. Dans une de ses audiences de Noël, Benoît XVI résume son magistère sur le Seigneur comme centre de notre Salut en disant?:
L’Éternel est entré dans les limites du temps et de l’espace, pour rendre possible aujourd’hui la rencontre avec Lui. Les textes liturgiques de Noël nous aident à comprendre que les événements du Salut opéré par le Christ sont toujours actuels, ils concernent l’Homme et tous les hommes. Lorsque nous écoutons ou prononçons, lors des célébrations liturgiques, cet « aujourd’hui un Sauveur nous est né », nous n’avons pas recours à une vaine expression conventionnelle, mais nous entendons que Dieu nous offre aujourd’hui, à présent, à moi, à chacun de nous la possibilité de le reconnaître et de l’accueillir, comme le firent les pasteurs à Bethléem, pour qu’Il naisse aussi dans notre vie et qu’Il la renouvelle, l’éclaire, la transforme par sa grâce, par sa présence.
La liturgie nous révèle cette grande vérité. Pour cette raison, nous devons être particulièrement reconnaissants à ce Pontife en tant que communauté qui cultive ce que Benoît XVI a appelé la « forme extraordinaire du rite romain ». Benoît XVI a su et compris que la foi se fonde sur la liturgie solennelle de l’Église. C’était le deuxième grand thème de son Pontificat. Il a témoigné que la liturgie est vraiment « la source et le sommet de la vie de l’Église » et que sans la plénitude de la liturgie, la foi ne peut être vécue que difficilement. Le grand document Summorum Pontificum que nous lui devons est donc une pierre angulaire de son pontificat. L’Histoire se rappellera particulièrement de lui comme l’auteur de ce texte important. Avec cette lettre apostolique il a justement fait ce qu’il décrit dès son commencement comme étant le devoir de tous les Papes?: veiller « à ce que l’Église du Christ offre à la divine Majesté un culte digne, […] à la louange et à la gloire de son nom [et] pour le bien de toute la sainte Église ». Toute la foi est résumée dans les documents sur la liturgie traditionnelle de Benoît XVI qui ont tous fait époque?: la foi en Jésus-Christ, la foi de l’Église issue de sa tradition inchangée, la foi qui se reflète dans une beauté éclatante comme image du ciel dans la liturgie célébrée depuis des millénaires par l’Église en l’honneur de Jésus-Christ, et surtout dans l’acte expiatoire du Dieu-homme qui est renouvelé sur nos autels. Le fait que le pape Benoît XVI ait redonné à la liturgie de tous les temps sa normalité, qu’il ait remis au centre de l’Église ce qui a toujours été son plus grand trésor, c’est le grand, c’est l’éternel mérite de ce Pontife dans l’Histoire de l’Église.
Qui est Benoît XVI?? Son testament spirituel nous a appris que Sa Sainteté Benoît XVI était uh homme resté simple, un théologien cultivé et un pape extraordinaire. Un homme croyant qui a beaucoup souffert, un homme bon qu’on a pu tromper, un homme anxieux qui avait parfois peur et qui, pour cette raison, nous a demandé au début de son pontificat de prier pour lui lorsque les loups viendraient. Il était un théologien et académicien profondément cultivé, et la beauté intégrale de la doctrine catholique lui tenait particulièrement à cœur. La défense de cette intégrité et de l’identité unique de Jésus-Christ et de son Église était son grand œuvre comme Vicaire du Christ sur Terre?: ce qu’il a fait pour préserver la foi et la liturgie restera à jamais?!
Benoît XVI conclut son testament spirituel par ces mots?: « Enfin, je demande humblement?: priez pour moi afin que le Seigneur m’admette dans les demeures éternelles malgré tous mes péchés et mes insuffisances. À tous ceux qui me sont confiés, ma prière s’adresse de jour en jour, de tout cœur ». Nous continuons à prier avec grande reconnaissance et fidélité filiale pour Benoît XVI, homme, théologien et pape, auquel nous devons le droit pontifical de notre Institut ainsi que beaucoup de signes de grande bonté paternelle. Nous sommes convaincus que sa prière, depuis l’éternité ne nous fortifie pas seulement dans notre foi personnelle, mais qu’elle fortifiera toute l’Église dans la foi authentiquement catholique, comme il l’a toujours voulu. Ainsi soit-il.
Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ainsi soit-il.
Mgr Schmitz,
Vicaire Général de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre,
ordonné prêtre par le défunt Pontife, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi