Notre lettre 900 publiée le 15 novembre 2022
UNE PROPOSITION
POUR L'AMENAGEMENT
DE NOTRE-DAME DE PARIS
Y RESERVER
UNE CHAPELLE AU RITE TRADITIONNEL
Notre proposition – réserver dans Notre-Dame de Paris une chapelle au rite traditionnel – pourra paraître une amusante provocation. On aurait tort : de même, que dans un tout autre contexte il est vrai, la primatiale d’Espagne, la cathédrale de Tolède, comprend une chapelle où est célébrée l’antique rite mozarabe, il serait normal que soit présente dans le lieu moralement central du catholicisme français la vénérable liturgie qui y fut en usage de manière immémoriale et qui est actuellement célébrée dans plus de 450 lieux de culte en notre pays.
L’état des forces catholiques en France
On n’a pas d’autre mesure sociologique du poids catholicisme que celle du nombre de messalisants, et on a par ailleurs un bon critère de sa « tendance » en examinant la qualité de ses séminaristes, ces jeunes gens dont la motivation catholique est assez vive pour qu’ils veuillent consacrer leur vie au ministère sacerdotal.
Sur ce deuxième point, la qualité de ces séminaristes, il apparaît que les vocations, toujours plus rares, qui se présentent dans les années de propédeutiques et dans les séminaires diocésains et régionaux, sont extrêmement classiques. Assez paradoxalement, la « génération François », en France en tout cas, est encore plus traditionnelle que la « génération Benoît XVI » et que la « génération Jean-Paul II ». Et pourtant, l’encadrement qui est donné à ces séminaristes, en retard sur cette évolution et en opposition avec elle, cherche à brider cette orientation (voir l’exemple parisien ou le prêtre chargé des vocations a été « débarqué » sans préavis par Mgr Marsset, évêque auxiliaire, parce que trop traditionnel, et encore la manière hostile avec laquelle ont été traités les propédeutiques de l’année 2021-2022, dont le nombre a fondu comme neige au soleil). D’une manière générale, comme c’est le cas à Versailles où les effectifs baissent avec l’arrivée d’un évêque « progressiste », les candidats préfèrent se tourner vers le séminaire de la Communauté Saint-Martin, vers les séminaires traditionalistes, ou vers celui de l’Emmanuel.
Ce profil des candidats au sacerdoce correspond, comme on s’en doute, à l’évolution générale des fidèles pratiquants. Au sein d’un vieillissement général, la nébuleuse « conservatoire » pour parler comme Yann Raison du Cleuziou (Qui sont les cathos aujourd’hui, Desclée de Brouwer, 2014), qui forme la partie la plus jeune du catholicisme, est celle qui résiste le mieux à la sécularisation interne du catholicisme et qui le mieux arrive à transmettre. Et de fait, le clergé de type traditionaliste ou Communauté Saint-Martin représentera près de la moitié du clergé français dans les décennies à venir et la grande majorité du clergé actif. De celui qui restera, en tout cas. Entre classiques et traditionnels existe d’ailleurs une grande porosité. Il n’est pas rare qu’un séminariste de l’Emmanuel ait un cousin séminariste de la FSSP, et qu’un séminariste de la Communauté Saint-Martin ait un frère à la FSSPX.
La proximité se fait d’autant plus grande que le nombre des catholiques continue de s’effondrer. Les sondages indiquaient, avant la crise du Covid, que le nombre des Français qui allaient effectivement à la messe tous les dimanches était passé sous la barre de 2% : ils étaient 1,8% sur l’ensemble du territoire selon l’enquête La Croix publiée le 12 janvier 2017. Or, ce qu’il est convenu d’appeler la crise sanitaire, gérée suicidairement par la hiérarchie catholique qui a interdit ou réduit drastiquement les célébrations et même interdit un temps les baptêmes et mariages, a fait encore chuter la pratique dominicale : un certain nombre de paroissiens âgés ont cessé d’aller à la messe le dimanche. On parle dans certaines paroisses d’une baisse de 40%, plus généralement de 20% à 30%. En fait elle est peut-être moins importante car il y a eu aussi des déplacements : d’abord pour avoir malgré tout une messe le dimanche, ensuite par rejet de la communion obligatoire dans la main, un certain nombre de fidèles ont rejoint les lieux de culte traditionnels dans lesquels les célébrations discrètes n’avaient pas cessé ou bien dans les célébrations très classiques où on ne leur impose pas une pratique de communion qui répugne à leur instinct de foi.
À cela viennent de s’ajoutes les révélations concernant la corruption morale de certains évêques dont l’effet a été désastreux sur le moral des fidèles.
Tout ceci ayant des conséquences financières avec la baisse des quêtes et du denier du culte pour des diocèses qui n’ont plus les importants volumes de legs de jadis, Qui plus est, l’âge élevé de la population des paroisses ordinaires – à la différence de celui de la population des églises traditionnelles, de l’Emmanuel, de la Communauté Saint-Martin, ou d’autres lieux – laisse prévoir, d’année en année, une continuité de l’affaissement.
L’absurdité de la tentative Traditionis custodes
Dans ce contexte, et dans celui plus général de l’avancée de la sécularisation agressive de la société, est intervenu le processus lancé par Traditionis custodes pour éradiquer à terme la célébration de la messe traditionnelle. Une vague de mesures tatillonnes (jusqu’à l’interdiction d’annoncer les messes tridentines sur les organes paroissiaux !), de réductions du nombre de messes, de refus par certains diocèses de reconduire les contrats avec les communautés traditionnelles fournissant des prêtres pour messes tridentines, sacrements, catéchismes œuvres de jeunesse, s’est abattue sur une partie du catholicisme français faisant partie de ses « forces vives ».
Les classiques n’ont pas compris que l’on persécutât les traditionalistes et l’ont fait savoir. En témoignent les articles de Jean-Marie Guénois dans Le Figaro. Avec cet effet noté dans certains diocèses et dont on parle peu : une baisse des quêtes et denier du culte consécutive à Traditionis custodes, élément qui s’intègre dans une atmosphère globale de méfiance vis-à-vis du clergé « officiel ».
Pour les raisons dites plus haut à propos du profil des séminaristes aujourd’hui, on a vu lors de la rentrée 2022 une croissance très notable, succédant à quelques années plus planes, du nombre de rentrées dans les séminaires traditionnels de l’IBP, de l’ICRSP, de la FSSPX et de la FSSP (voir : Renaissance catholique : Les séminaristes choisissent la messe traditionnelle ).
Est survenue aussi l’étrange « condamnation » qui s’est abattue sur l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey, auquel le cardinal Ouellet, Préfet de la Congrégation des Evêques (et qui se consacre par ailleurs avec ardeur à la détraditionalisation de la congrégation des dominicaines du Saint-Esprit de Pontcallec) a interdit de procéder à l’ordination de quatre prêtres. Cette mesure avait pour origine lointaine une lettre publique d’un des prêtres du diocèse accusant l’évêque de « traditionaliser » son séminaire, qui avait été suivie d’une sorte d’inspection au nom de la Congrégation du Clergé puis de celle des Évêques. Or, tant dans la composition du corps des séminaristes – en fait très variée – qui optent pour le diocèses de Fréjus-Toulon, que du nombre de prêtres classiques ou traditionnels qui y sont accueillis – au milieu de pas mal d’autres prêtres et consacrés de communautés charismatiques –, il est bien possible, affirmait Jean-Marie Guénois, que Mgr Rey ait constitué « un laboratoire d’Église de demain » (« L’effarante décision du Vatican envers le diocèse de Toulon », Le Figaro, 3 juin 2022).
Tout porte à croire, en effet, que l’Église de demain en France, réduite à un petit nombre de catholiques, sera elle aussi, non pas traditionaliste mais nettement traditionalisée. Absurde est donc la politique qui consiste, au nom de la vieille idéologie qui a prospéré en suite du Concile, à écraser une partie du catholicisme qui aujourd’hui « fonctionne » encore, c’est-à-dire qui remplit ses églises de fidèles, notamment de jeunes, de familles nombreuses, qui produit des vocations sacerdotales et religieuses, qui provoque des conversions.
L’exemple historique du rite mozarabe : Notre-Dame comme la cathédrale de Tolède
D’où notre idée, pour l’instant de principe, de demander comme une sorte de réparation : l’installation dans la cathédrale, dont l’incendie a montré qu’elle représentait symboliquement le cœur du catholicisme français, d’un témoin visible et vivant de ce qu’a été le culte dans cet édifice depuis des siècles.
Notre proposition se réfère ce qui était advenu, en de toutes autres circonstance, pour le très antique rite latin wisigothique, dit rite mozarabe, dans la cathédrale de Tolède. Ce rite latin non romain s’était conservé dans les terres occupées par les musulmans, les chrétiens y vivant en vase clos en raison de faibles communications qu’ils avaient désormais avec le reste de la chrétienté latine. Celle-ci, pendant ce temps, avait considérablement romanisé sa liturgie, à partir de l’époque carolingienne et jusqu’à la réforme grégorienne portée par le monachisme clunisien. En Espagne également, au fur et à mesure de la Reconquête, les provinces redevenues chrétiennes adoptèrent aussi la liturgie romaine. Mais une résistance populaire importante en faveur de la tradition liturgique dite mozarabe la fit maintenir dans Tolède reconquise en 1085 aux côtés du rite romain.
Sans entrer dans les détails de cette tranche un peu mouvementée de l’histoire de la liturgie espagnole, disons seulement qu’elle trouva sa conclusion en 1495, lorsque le grand acète en même temps que savant humaniste que fut le cardinal Cisneros, archevêque de Tolède et primat d’Espagne, prit en main la maintenance de ce rite vénérable. Il dirigea un travail d’édition des livres mozarabes et comme pour poser cette vénérable liturgie sur un chandelier, il fonda dans sa cathédrale la Chapelle du Corpus Christi ou Chapelle mozarabe, desservie par 13 chanoines y assurant perpétuellement le chant quotidien de la messe et de l’office mozarabes (voir Schola Sainte-Cécile sur l’esquisse d'une histoire du rite mozarabe ).
Ulrich comme Cisneros ?
Bien entendu, la persistance du rite mozarabe face au rite romain n’a pas la même signification que celle du rite romain traditionnel face au rite de Paul VI. Dans le premier cas il n y avait aucune opposition théologique entre les deux rites, alors que dans le second, comme le soulignent pour le coup justement Traditionis custodes et la lettre du pape qui l’accompagne, en refusant au rite ancien la qualité de lex orandi, il y a un hiatus entre les expressions doctrinales que représentent l’un et l’autre rite. La liturgie de Paul VI et la liturgie tridentine, qu’on le veuille ou non, sont et restent en débat.
S’agissant de culte qu’on célèbre, ce débat théologique est forcément pratique. Qui peut craindre ce débat ? Dans ce lieu vitrine du catholicisme français, cette antique cathédrale où vont à nouveau se presser dès 2024, au milieu des flots de touristes, des catholiques du monde entier, la présence vivante du rite romain séculaire serait la bienvenue. Mgr Ulrich, comme jadis le cardinal Cisneros, ferait œuvre pie s’il retenait notre proposition.