Notre lettre 871 publiée le 7 juillet 2022
COMMENT LE CAS D’UN PRÊTRE PLACARDISÉ
POUSSÉ AU SUICIDE NOUS ECLAIRE
SUR L’INCAPACITÉ DE NOS PASTEURS À DIALOGUER
FUNÉRAILLES DU PÈRE FRANCOIS DE FOUCAULD
VENDREDI 8 JUILLET À 15 H AU VÉSINET
Document 1 - Sur l’abbé François de Foucauld : plus d’explications pour ceux qui veulent comprendre par son ami Nicolas Jourdier, producteur de cinéma.
François de Foucauld a été nommé curé de la paroisse de Bois d’Arcy en septembre 2014. L’évêque, Monseigneur Aumonier, lui demande alors d’affermir une paroisse en déshérence pastorale. La paroisse reprend vite des couleurs sous l’impulsion du Père François, la catéchèse repart, de belles cérémonies jalonnent l’année…
Mais un groupe de cinq paroissiens, sans doute vexés de ne plus pouvoir gérer la paroisse à leur guise comme ils le faisaient auparavant, décide d’en découdre avec le Père François. Calmes au début ils se déchaînent à partir de la fin de l’année 2018. Des lettres sont envoyées à l’évêché, des homélies du Père François sont interrompues par des propos humoristiques… Un véritable harcèlement se met en place contre le curé mais aussi contre des membres de l’équipe pastorale qui sont insultés dans la rue. Une paroissienne témoigne : « quand la majorité silencieuse de cette paroisse vivait avec joie ce nouveau souffle, une minorité agissante manifestait bruyamment son désaccord ».
Le Père François demande le soutien de l’évêque. Mais des personnes mal intentionnées à l’évêché soutiennent les harceleurs. Et on accuse même François d’avoir produit un faux sms, comme si le curé avait piraté le système central d’Orange. François demande à lire les lettres de reproches qu’on a adressés à l’évêché. Monseigneur Aumonier refuse an arguant de la confidentialité des lettres. François demande alors une simple retranscription anonyme des lettres, l’évêque persiste dans son refus.
Finalement il est décidé avec l’évêque auxiliaire une rencontre avec les accusateurs du curé pour faire le clair. Ces derniers refusent de participer à la rencontre avec le curé et l’évêque auxiliaire. Ils continuent à propager des idioties comme le fait que la messe dominicale du samedi soir serait célébrée « sans célébration de la parole de Dieu ! »
Alerté par deux responsables du diocèse, le Père François se rend compte qu’un mécanisme de dénigrement est en place au sein de l’évêché contre lui.
Il consulte alors une avocate en septembre 2020, qui lui conseille de proposer dans un premier temps, une médiation professionnelle avec un médiateur extérieur, pour permettre à la hiérarchie de prendre en douceur ses responsabilités face à de tels harcèlements. Le 14 décembre, après 9 heures de médiation, le médiateur décide de la stopper en raison de la persistance des évêques à nier tout problème.
Le Père François entame alors une grève de la faim et demande la réalisation d’un audit pour faire le clair sur les disfonctionnements à Bois d’Arcy comme au curie diocésain. Un prêtre m’appelle pour me dire que si François n’arrête pas sa grève de la faim on ne fera passer pour fou. Finalement Monseigneur Aumonier accepte l’audit et François met fin à sa grève de la faim après vingt jours.
François n’a informé personne de sa grève de la faim car il ne voulait pas faire de scandale. De la même façon il a fait sa grève dans un autre diocèse pour que ses paroissiens ne soient pas au courant.
L’audit est réalisé en mars et avril 2021 par deux anciens DRH à la retraite. Il présente des accusations graves à l’encontre du curé et de son équipe (dont banqueroute financière, trésorerie exsangue, comptabilité non tenue…) sans apporter aucune preuve.
L’avocate du Père François demande communication des pièces du dossier le 20 avril. Cela lui est refusé (évidemment car c’est un audit à charge réalisé sans preuves).
L’avocate demande à deux reprises un débat contradictoire avec les auditeurs sur les accusations anonymes et non motivées de l’audit (30 avril et 16 mai). Cela lui est refusé.
Et pour clore l’affaire, Monseigneur Crépy écrit le 16 juin 2021 que « les pièces touchant aux auditions seront détruites ».
Le Père François s’insurge contre la destruction des preuves, il veut au contraire que toute la lumière soit faite.
L’évêque estime ne pas être tenu aux principes fondamentaux du droit applicable en France, qui oblige tout accusateur à établir lui-même des éléments de preuve et des explications objectives à toute accusation.
D’autre part, le rapport est basé sur des accusations qui sont toutes anonymes. En prétextant se soucier de la confidentialité des personnes auditionnées, la curie diocésaine pose comme un droit acquis la délation anonyme et officielle dans les audits officiels du diocèse. Les rapporteurs justifient leurs affirmations de simples phrases telle que « on parle de… les bruits vont bon train… ».
Enfin, l’évêché méprise un principe élémentaire du droit français, qui veut qu’on présente à la partie adverse les éléments et les pièces d’une accusation qu’on affirme.
Le 2 décembre le Père François écrit une tribune dans le journal La Croix. Il veut se battre contre les abus de pouvoir dans l’Eglise et les mécanismes mis en place pour décrédibiliser les victimes : « On fait passer la victime pour une personne fragile, on l’accuse de troubles psychiques. Ces accusations par l’émoi qu’elles suscitent, dispensent la hiérarchie de l’Église comme les proches des victimes, de toute évaluation objective de ces fameux troubles. La seconde étape est alors facile : la victime étant sortie hors du cercle de la raison, et son entourage anesthésié ; l’évêque et son conseil peuvent alors procéder sans contrôles à toutes décisions à son sujet. Elle n’est plus une personne aimable ou de droit. Elle devient juste une chose, un dossier à régler. »
Le Père François menace de porter l’affaire à Rome. Le 3 mars 2022 Monseigneur Crépy accepte alors une ultime médiation judiciaire avec avocat. Plusieurs rencontres ont lieu pour négocier la rédaction d’une lettre. Finalement le 11 avril l’évêque donne son accord à une lettre où il reconnaît que « les affirmations a` l’égard du prêtre ne sont étayées par aucune preuve » et « sont infondées » ; et que «l’audit a suivi une méthodologie particulièrement contestable et contraire a` la déontologie ». Il demande un mois à François avant de diffuser la lettre.
Le Père François est soulagé, il part marcher sur les chemins de Saint Jacques pour se reposer. Nous, ses amis, sommes aussi soulagés. Le Père François réfléchit à son futur, il est heureux.
Mais le 13 mai, Monseigneur Crépy revient sur l’accord. Il exige « qu’aucune forme de procédure contentieuse, devant quelque instance que ce soit, contre qui que ce soit » ne puisse être engagée. Il est étonnant de constater que l’évêque qui a été´ choisi pour faire la lumière sur les abus dans l’Eglise en France, organise lui-même l’opacité´ la plus totale sur les abus de pouvoir commis dans son propre diocèse, réclame la destruction des preuves et exige l’impunité´ judiciaire de ses responsables.
Le Père François n’avait pas l’intention de porter l’affaire en justice.
Ce qui a écrasé Le Père François, c’est le parjure de l’évêque qui exige, en plus, que la lettre qui devait faire la lumière sur cette affaire et qui avait été si longuement négociée, reste strictement confidentielle.
Nous souhaitons que la lumière soit faite sur cette histoire car nous voulons faire connaitre à nos enfants une Eglise belle et rayonnante. Nos prêtres sont, dans leur immense majorité, des personnes extraordinaires qui ont fait don de leur vie pour l’humanité. Nous ne devons pas laisser des personnes malhonnêtes salir leur sacerdoce.
Document 2 : La Tribune de l’abbé François de Foucauld publié dans le quotidien La Croix, du 2 décembre 2021
TRIBUNE. François de Foucauld, un prêtre du diocèse de Versailles qui estime avoir été victime d’abus de pouvoir, montre dans cette tribune les mécanismes à l’œuvre dans l’institution quand des victimes témoignent. Essentielle, la libération de la parole permettra d’édicter des « règles objectives de gouvernance », espère-t-il.
Je suis prêtre depuis 17 ans dans le diocèse de Versailles. Depuis le séminaire, j’entends parler d’abus. Pédophilie, abus de pouvoir, gouvernances troubles… Ces sujets ne sont pas niés explicitement, mais la parole est enfermée. C’est trop souvent un petit cercle de clercs et laïcs autour de l’évêque qui s’arroge le dernier mot.
Cette contrainte au silence imposée par quelques-uns ne passe plus ; et ainsi ne peut plus être consentie. Nous ne sommes qu’à l’aube d’un nouveau débat sur les abus de pouvoir dans l’Église et les questions qu’il soulève. À la suite des premiers témoins qui ont osé courageusement prendre la parole et que je salue ; des hommes et des femmes, prêtres et fidèles, se sont mis alors à échanger, questionner, formuler une parole plus libre.
Une même mécanique abusive se répète
La première étape de l’abus de pouvoir dans l’Église consiste à faire peur. On fait passer la victime pour une personne fragile, on l’accuse de troubles psychiques. Ces accusations par l’émoi qu’elles suscitent, dispensent la hiérarchie de l’Église comme les proches des victimes, de toute évaluation objective de ces fameux troubles. La seconde étape est alors facile : la victime étant sortie hors du cercle de la raison, et son entourage anesthésié ; l’évêque et son conseil peuvent alors procéder sans contrôles à toutes décisions à son sujet. Elle n’est plus une personne aimable ou de droit. Elle devient juste une chose, un dossier à régler.
Je me rappellerai toujours ces propos de Mgr Boyer, ancien président du tribunal ecclésiastique de Versailles et canoniste réputé, évoquant au sujet des abus de pouvoir dans les diocèses, des pratiques rappelant les « lettres de cachet ». Je comprendrai par la suite cette image qu’il avait choisie : la lettre de cachet retirait également à la victime tout droit à se défendre devant une cour de justice. Il devenait ainsi soumis au bon vouloir d’une seule personne.
Qui fait l’ange fait la bête
Si l’Église demande une obéissance dans l’exercice d’un ministère, elle doit laisser en contrepartie aux clercs et aux laïcs une part d’initiative dans l’exercice de cette obéissance. À commencer par le respect de sa conscience, le souci du débat contradictoire et les droits élémentaires de la défense dans le cadre d’un conflit. À défaut, ce service vécu strictement dans l’obéissance risque de nier les abus potentiels de pouvoir. Qui fait l’ange fait la bête, dit le proverbe.
Aussi, on ne peut pas spiritualiser à l’infini le pouvoir afin de l’apprivoiser. Est-il juste par exemple, de demander d’entrer dans un chemin de pardon alors que les abus de pouvoir sont encore niés dans une affaire ? À ce jeu-là, on risque d’entraîner des hommes et des femmes dans la violence ou un repli amer et résolu.
Document 3 : Communiqué de Mgr. Luc Crépy, évêque de Versailles, suite à l’annonce du suicide du Père François de Foucauld
Document 4 : Une lettre de notre ami le Docteur Philippe de Labriolle, Psychiatre honoraire des Hôpitaux
Le prêtre suicidé au patronyme plus qu'honorable était sans affectation depuis septembre 2021. Votre liste des nominations prenant effet en septembre prochain ne fait nulle mention de ce prêtre, comme si ce dernier devait expier, une nouvelle année durant, le fait d'avoir médiatisé ce qu'il subissait. Cette liste du 29 juin 2022 précède de si peu son suicide qu'il est loisible d'y voir la déconsidération de trop. La déclaration posthume que l'Ordinaire lui a réservée est aussi sèche que s'il annonçait la fin de vie du chauffage de la cathédrale Saint-Louis. La déroute de la paternité épiscopale, jointe à celle de l'amitié sacerdotale, s'illustre clairement dans cette néantisation de « l'autre », pourtant alter Christus comme l'évêque et comme tout le presbyterium.
On ne saurait ignorer que certains collaborateurs sont susceptibles, à un moment de leur vie ou durablement, de poser plus de problèmes qu'ils n'en résolvent. Des épreuves personnelles peuvent fragiliser démesurément les plus madrés. J'ignore si ces propos s'appliquent avec pertinence à ce prêtre que je n'ai pas eu l'honneur de connaître. Mais que sa dénonciation d'abus de pouvoir systémiques procédât d'une mortification personnelle ou d'un constat d'observation sans implication personnelle préalable, sa mise au placard reconduite sine die lui donnait, à l'évidence, raison, quel qu'en soit le primum movens.
Par voie de conséquence, l'effort de vérité préconisé à l'égard des victimes d'abus sexuels dans le diocèse trouve dans l'usage pervers de la mise au silence d'un clerc un démenti assez cinglant. Ne doit émerger que ce qu'on laisse émerger si l'intérêt de l'oligarchie diocésaine s'y retrouve. Qu'on se le dise !
Contrairement à l'abbé Fumery, du diocèse d'Orléans, lynché en mode gossip par la cellule d'écoute et lâché par son évêque, le cumul des opprobres injustifiés n'a pas été fulgurant jusqu'à la pendaison. Un an de mise à l'écart, c'est suffisant pour conduire à bien du soin si nécessaire, ou des reconversions diverses. Laisser s'enfoncer son frère, c'est avoir de son prochain une idée si abstraite qu'elle ne touchera jamais terre...Les longues vacances des versaillais aisés et influents tombent à pic pour vous permettre de concocter une dialectique qui vous permettra d'expliquer pourquoi ceux qui refusent de vous manger dans la main ne manquent à personne, à supposer même que l'existence (inutile) ait à leur être factuellement concédée. A bon entendeur, messieurs les nouveaux ordonnés.
Vous avez dit communion? Mon fion ! Avec mes regrets,
Dr Ph. de Labriolle, Psy. Hon. des Hx
QUELQUES REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 – Quelle mère de famille… quel père pourraient traiter leurs enfants comme cela ? Quel chef d’entreprise pourrait faire de même sans risquer de se retrouver sous les foudres des prud’hommes et même des tribunaux ?
2 – Comment ne pas rapporter le traitement fait à des prêtres considérés, pour des raisons diverses, comme des gêneurs, et celui qu’on applique si souvent à ces catholiques de seconde zone, les catholiques traditionnels, qu’on pousse à disparaître. Ce qui ressort de ce dramatique dossier c’est l’incapacité pour nombre de nos pasteurs d’être loyaux, courageux, honnêtes et transparents. D’être des pasteurs francs, bienveillants et charitables : hélas cela nous le constatons depuis au moins un demi-siècle. À de trop rares exceptions…
3 – Dialogue, dialogue, dialogue : on ne parle que de cela dans l’Église. Or, aujourd’hui, et c’est bien malheureux, l’attitude de la plupart de nos pères ecclésiastiques est celle de l’autisme, voire du négationnisme qui justifie l’absence de franchise et de dialogue : demandez par exemple à Monseigneur Luc Crépy, évêque de Versailles, ce qui se passe à Saint-Germain-en-Laye ? Je pense qu’il vous répondra que tout y baigne, qu’il ne s’y passe rien de notable, alors que cela fait maintenant près de 30 ans (voir Notre lettre 868, du 20 juin 2022) que des fidèles demandent à temps et à contretemps la nourriture spirituelle que nos pasteurs ne veulent pas leur accorder.
4 – Le père François de Foucauld affirme hautement et clairement que l’autorité ecclésiastique d’aujourd’hui s’appuie essentiellement sur la peur qu’elle inspire à ses subordonnés pour poursuivre son action. Les prêtres diocésains, les curés notamment qui n’ont plus aucune des garanties que leur donnait jadis le droit canonique, sont à la merci des administrations diocésaines. En revanche, les laïcs, qui ont désormais une place et au moins une existence dans l’Eglise, peuvent bien plus aisément résister. Notamment, les catholiques traditionnels n’accepteront plus de se soumettre à de telles manipulations sans avoir épuisé tous le recours offerts par les différents droits et le appels au secours que, victimes, ils ne manqueraient pas de crier haut et fort.