Notre lettre 844 publiée le 21 janvier 2022

SEMAINE DE PRIÈRE POUR L'UNITE DES CHRÉTIENS … MAIS PAS AVEC LES CATHOLIQUES ATTACHÉS A LA TRADITION ?

Nous reprenons textuellement pour cette Lettre le titre que nous avions donné à notre lettre 729 publiée le 15 janvier 2020, et qui est d’une parfaite actualité, comme nous le rappelle une tribune dans La Croix dont nous allons parler.

La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens fut créée à l’initiative de l’abbé Paul Couturier (1881-1953), prêtre de Lyon, en janvier 1933, pour l'unité de tous les baptisés chrétiens, notamment catholiques, orthodoxes, anglicans, réformés. Après le Concile, la Semaine vit l’organisation de prières communes, parfois même de cérémonies communes. Elle est préparée conjointement par le Conseil œcuménique des Églises, de Genève, et le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens. Elle se déroule du 18 janvier, date jadis de l’ancienne fête de la Chaire de saint Pierre à Rome, au 25 janvier, fête de la conversion de saint Paul.

Nous posions en 2020 cette question toute simple : ceux qui sont fidèles – pour de solides raisons qu’ils ont maintes fois exprimées – à la célébration de la liturgie traditionnelle sont- ils encore catholiques ? S’ils ne sont plus catholiques, du fait du changement de paradigme comme on dit, opéré à Vatican II, ou du moins s’ils ne le sont plus tout à fait, c’est-à-dire s’ils sont en « communion imparfaite » selon la terminologie nouvelle, ils sont donc des chrétiens séparés, au même titre que les orthodoxes, les anglicans, etc. Et dans ce cas, les mêmes principes d’un dialogue compréhensif et charitable, assorti de prêt généreux d’édifices du culte, doivent être appliqués à la pastorale qui les concerne. Et s’ils le sont encore, à combien plus forte raison doivent ils être traités avec charité et respect, comme le sont les catholiques de rites orientaux ou de langue différente de celle parlée dans un pays, qui ont droit à une totale liberté et à tous les moyens pour célébrer le culte divin comme ils en ont l’habitude.


Cohérence des partisans de l’œcuménisme !


C’est pourquoi nous avons vu avec plaisir que quatre personnalités catholiques de France, Dom Jean Pateau, Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, l’abbé Pierre Amar, prêtre diocésain, Christophe Geffroy, directeur de La Nef, Gérard Leclerc, écrivain, ont utilisé cette manière d’argumenter et ont publié dans La Croix du 19 janvier dernier une tribune intitulée : « Guerre liturgique : "Plutôt que de s’accuser mutuellement de présupposés idéologiques, si nous nous écoutions ?" ». Nous avons reproduit le texte intégral de cette tribune ci-après.

On pourra trouver le ton de ce texte un peu sentimental, ou bien très irénique, quand on sait quelle violence se déploie aujourd’hui à Rome contre les partisans de la liturgie traditionnelle. Il n’en reste pas moins que cet appel au dialogue, à la compréhension, à la fraternité, est d’abord un appel à la cohérence adressé aux partisans de l’œcuménisme : « La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens pose donc d’abord une question interne à l’Église catholique. Le processus synodal qui s’ouvre nous invite à dépasser la verticalité, l’autoritarisme sévère et le juridisme tatillon qui ne font que créer des situations insupportables et des ressentiments durables. »

Si donc l’on est un fervent défenseur de l’œcuménisme ad extra, à plus forte raison faut-il l’être ad intra, et entourer les frères non pas séparés, mais différents « de respect fraternel et de charité », comme le demande le décret conciliaire Unitatis redintegratio

Certes, la tribune de dom Pateau, Pierre Amar, Christophe Geffroy, Gérard Leclerc, s’adresse tant aux œcuménistes qu’aux traditionnels et elle évoque la réciprocité que doit revêtir cette attitude. Elle dit juste du point de vue de la charité, qui ne doit jamais être oubliée dans quelque situation que ce soit. Cependant, il faut distinguer la situation de l’agneau du loup qui va le dévorer : c’est d’abord au loup qu’il faut prêcher la charité !


Et cohérence des traditionnels…


Et surtout, il faut que les défenseurs de la liturgie traditionnelle soient eux-mêmes cohérents. Il leur arrive souvent de critiquer la manière dont le processus œcuménique est conçu. Ainsi, Christophe Geffroy, dans un éditorial de La Nef, de décembre 2016, demandait que l’œcuménisme soit « un dialogue en vérité ».

Il réfléchissait à propos du voyage du pape François en Suède à l’occasion de l’ouverture de l’année fêtant pour les protestants le 500e anniversaire de la Réforme, lorsque Luther afficha ses 95 thèses à Wittemberg le 31 octobre 1517.

Christophe Geffroy évoquait ce qu’on appelle « le dialogue de vie », dans lequel on dit : « Puisque la doctrine nous sépare, mettons-la de côté et voyons plutôt ce qui nous unit ». Il continuait : « La démarche peut être recevable à condition que ceux qui s’y engagent soient conscients de la réalité des divergences doctrinales, ce qui permet alors de se concentrer sur les choses concrètes de la vie qui nous réunissent ». C’est ainsi, précisait-il « qu’il faut lire la "déclaration conjointe" du 31 octobre 2016, à Lund, du pape François et de l’évêque luthérien Munib Younan. Il est en effet significatif qu’elle n’aborde aucune question de fond (sauf un couplet sur l’intercommunion qui n’affirme que vouloir "progresser") pour demeurer au niveau des généralités. »

Et le directeur de La Nef d’affirmer : « le dialogue œcuménique est nécessaire, mais il doit être fait en vérité ». Pour ce faire, il faut se garder du « refus de la réalité [qui] ne peut conduire qu’à la désillusion, et finalement à saboter ce que l’on prétend construire – en bâtissant sur le sable et non sur le roc… »

On ne saurait que souscrire et qu’appliquer au dialogue « œcuménique » que Christophe Geffroy prône entre catholiques favorables à la liturgie nouvelle et catholiques attachés à la liturgie traditionnelle. Ils doivent être conscients, et se dire en toute sincérité, en toute vérité, et bien sûr en toute charité, ce qui sépare leurs pratiques liturgiques. Mille fois les traditionnels ont exposé, mais un dialogue apaisé permettrait de le faire une fois de plus, que ce n’est pas pour des raisons sentimentales qu’ils sont attachés à la messe tridentine, mais pour de graves raisons doctrinales. Ils entendront volontiers leurs « partenaires » dans le dialogue liturgique leur expliquer que la nouvelle liturgie est plus participative. À quoi ils répondront que la liturgie traditionnelle connaît la participation des fidèles, mais que la sur-participation à laquelle cède la liturgie nouvelle érode le sens du sacerdoce hiérarchique. Ils expliqueront, quant à eux, que la messe nouvelle qui a voulu remplacer la messe traditionnelle a procédé à des affaiblissements considérables dans la théologie du sacrifice eucharistique, dans celle de la présence réelle, dans celle du sacerdoce hiérarchique. Etc. etc.

Et ils demanderont d’abord charitablement, affectueusement même, qu’on leur laisse œcuméniquement prier selon la liturgie traditionnelle de l’Église de Rome.


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Tribune dans La Croix du 19 janvier 2022 – Guerre liturgique : « Plutôt que de s’accuser mutuellement de présupposés idéologiques, si nous nous écoutions ? »


À l’occasion de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, quatre personnalités catholiques appellent à « l’estime mutuelle » entre les catholiques attachés à la forme ancienne de la liturgie et les autres. Ils invitent à « prendre en main »la fraternité à laquelle les chrétiens sont appelés.

« Promouvoir la restauration de l’unité entre tous les chrétiens est l’un des buts principaux du Concile » (1). Tels étaient les premiers mots du décret sur l’œcuménisme de Vatican II. Depuis, on a appris la méthode : dialoguer, s’écouter, s’estimer mutuellement. Accepter parfois ses différences, ne pas les nier. Prier ensemble souvent. Nous avons appris que l’œcuménisme est affectif avant que d’être dogmatique ou juridique. Nous avons aussi compris que l’unité des chrétiens est vitale pour la crédibilité même de l’Évangile. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » (Jn 13, 35).

Peut-être Benoît XVI l’avait-il en tête quand il voulut mettre fin à la division interne des catholiques autour de la liturgie née du Concile. Plutôt que des arguments juridiques ou dogmatiques, il proposa un dialogue. On devait « s’enrichir mutuellement ». Cela supposait de mettre fin à la guerre liturgique fratricide qui avait tant divisé les communautés chrétiennes. Désormais, il nous demandait de nous écouter mutuellement, de dialoguer. L’avons-nous fait ? Pas assez certainement. Nous avons parfois vécu côte à côte comme des étrangers, remplaçant l’enrichissement fraternel par l’ignorance mutuelle. Nous en payons aujourd’hui le prix.

 

Une forme de guerre intérieure

 

Est-il pour autant nécessaire de renoncer à cette recherche de la paix liturgique ? Sommes-nous réduits à l’uniformisme liturgique comme seul moyen d’unité ? La question est plus grave qu’il n’y paraît. Car elle ouvre aussi une forme de guerre intérieure. Il est indispensable d’être en paix avec son passé pour avancer. Si nous ne sommes pas capables de vivre en paix avec la forme antérieure de la liturgie, alors nous installons la guerre au cœur de ce qui devrait être le sacrement de l’unité des hommes avec Dieu et entre eux.

La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens pose donc d’abord une question interne à l’Église catholique. Le processus synodal qui s’ouvre nous invite à dépasser la verticalité, l’autoritarisme sévère et le juridisme tatillon qui ne font que créer des situations insupportables et des ressentiments durables.

 

Des présupposés idéologiques


Si nous dialoguions ? Plutôt que de s’accuser mutuellement de présupposés idéologiques, plutôt que prêter à l’autre des intentions inavouées ou de l’enfermer dans son histoire, si nous nous écoutions ? Nous découvririons des affectivités blessées, des cœurs humiliés de part et d’autre. Oui, les décennies 1960 et 1970 ont parfois été traversées par une politisation et une radicalisation des positions ecclésiales (notamment liturgiques) qui ont créé des crispations. Oui, les uns comme les autres nous recevons en héritage des attitudes culturelles et sociologiques qui demandent à être purifiées à la lumière de l’Évangile. Mais comment faire ? En se lançant mutuellement des anathèmes : Modernistes ! Intégristes ! Maurrassiens ! Progressistes ! La vérité en sortira-t-elle grandie ? En interdisant par voie réglementaire la publication des horaires de messes ? A-t-on jamais vu qu’une telle méthode contribue à la charité et à l’unité ?

La multiplication des interdits crée au contraire la fascination et le désir de transgression chez les jeunes générations de clercs comme de laïcs. On devrait se souvenir que les condamnations romaines de Lubac et de Congar ont contribué à les faire lire dans les séminaires mais n’ont pas affermi la confiance envers l’autorité romaine. Bien plus, en multipliant les mesures vexatoires de détails contre l’ancienne liturgie, on court le risque de passer à côté de l’essentiel de la réforme liturgique voulue par le Concile en l’enfermant dans un nouveau rubricisme juridique et autoritaire plutôt qu’en l’ouvrant à la participation du peuple de Dieu.


Prions les uns pour les autres


Alors, si nous osions prier les uns avec les autres ? Certes, chacun devrait faire des pas. Mais ils seraient alors accomplis par amour et non par contrainte. L’œcuménisme n’est pas œuvre de diplomatie et d’habilité. Il est d’abord une attitude spirituelle. Alors ouvrons les portes. Aux tenants de la liturgie ancienne, quand ils le pourront par amour et non par obligation juridique, d’oser faire l’expérience de la concélébration, de la belle richesse biblique des lectionnaires du Novus ordo.

Aux praticiens de la liturgie rénovée suite au Concile de se laisser déranger avec joie par ces communautés qui célèbrent le Vetus ordo et qui portent de beaux fruits de mission. Sommes-nous contraints à nous faire concurrence ? La fraternité serait-elle impossible ? Qui sait même si nos paroisses ne gagneraient pas à célébrer de temps à autre vers l’Orient ou à utiliser l’antique texte de l’offertoire ?


Un cœur bienveillant


Allons nous visiter mutuellement ! Allons avec bienveillance passer un dimanche chez celui qui célèbre le même Seigneur avec d’autres rites que les nôtres. Peut-être serons-nous heurtés par telle ou telle manière de faire. Mais si notre cœur est bienveillant, nous y découvrirons des semences de Verbe que nous avons nous-même oubliées.

La paix liturgique dans l’Église ne pourra pas s’obtenir tant qu’un bord continuera de jeter la suspicion sur la messe de l’autre bord.

Puisque le pape nous le demande, il revient à tous, évêques, prêtres et laïcs de prendre en main cette fraternité par la base plutôt que d’attendre que des décrets viennent la réglementer. Le risque de l’unité nous est confié par le pape. Et si nous osions le prendre en main ? Si nous osions tendre la main ?


[1] Vatican II, décret Unitatis redintegratio, 1.



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