Notre lettre 782 publiée le 1 février 2021
LA CEF ET LA MESSE TRADITIONELLE :
IL FAUT REVOQUER L'EDIT DE NANTES !
DEUXIEME VOLET DE NOTRE REACTION A LA SYNTHESE PUBLIEE PAR LA CONFERENCE DES EVEQUES DE FRANCE A PROPOS DE LA LITURGIE TRADITIONNELLE
La comparaison peut paraître osée de notre part : faire l’analogie entre le monde traditionnel et protestantisme que ne tolérait plus Louis XIV en son royaume, entre la FERR (la forme extraordinaire du rite romain) et la RPR (la religion prétendu réformée) ! Mais au-delà de la provocation cum grano salis, cela permet de bien qualifier la posture de ceux qui n’ont jamais supporté la situation créée par cette sorte d’« édit de tolérance » qu’est Summorum Pontificum. Ils seraient prêts à le révoquer, avec les conséquences désastreuses qui s’en suivraient, non plus économiques, comme au XVIIe, mais pastorales, au XXIe.
Dans notre Lettre 780, du 18 janvier 2021, nous avons révélé la teneur d’un document interne de la Conférence des Evêques de France, « Synthèse des résultats de la Consultation sur l’application du Motu proprio Summorum Pontificum demandée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en avril 2020 ». Cette synthèse est d’un tel intérêt pour connaître la psychologie de ce groupe épiscopal, qu’il nous a semblé intéressant de lui consacrer plusieurs lettres.
Dans celle-ci, nous allons parler du thème de fond qui sous-tend l’ensemble du document : la liturgie d’avant Vatican II ne doit plus être mise à égalité avec la liturgie du Concile (sa célébration est un droit pour Summorum Pontificum), mais elle doit avoir une place subordonnée et sous contrôle, ses partisans ayant à accepter les principes doctrinaux da la liturgie nouvelle et ayant à le manifester en la pratiquant de temps à autre.
Insupportable Motu proprio
On peut accorder que la CEF est dans le vrai quand elle relève que l’attachement à la liturgie traditionnelle a des fondements doctrinaux qui divergent de ceux sur lesquels repose la forme ordinaire. Mais le document exprime cela très polémiquement en pointant « la conception ecclésiale » différente de la sienne des tenants de la messe traditionnelle, leur réflexion de foi « figée », leur « mentalité de résistance », leur esprit de « critique voire de défiance » vis-à-vis du concile Vatican II, le « risque d’identification de la messe en forme extraordinaire à la seule "vraie messe" », et la « cause de scandale » que certains « jugent impossible de célébrer la messe actuelle ».
Factuellement, il y a du vrai. Au reste, puisque la coexistence liturgique pacifique est une sorte d’œcuménisme, il importe que chaque partie soit extrêmement claire sur ce qu’elle représente. Il ne faut donc pas cacher que le choix que font ceux qui sont attachés à la forme traditionnelle pour vivre la lex orandi relève pour eux de la confession de la foi.
Les partisans de la messe traditionnelle s’en sont toujours expliqué : selon eux, le nouveau rite de la messe, dans les innombrables variantes de sa célébration, manifeste une perte de transcendance ; la doctrine de la messe comme renouvellement non sanglant du sacrifice propitiatoire offert pour les vivants et pour les défunts, l’adoration de la présence réelle du Christ, la spécificité du sacerdoce hiérarchique et généralement le caractère sacré de la célébration eucharistique s’y trouvent exprimés de manière sensiblement plus faible que dans le rite traditionnel (et que dans les rites orientaux).
Or, Rome, par le motu proprio de Benoît XVI, leur a dit qu’« il n’y avait pas de problème ». « Pas de problème » dit équivalemment le pape François, lorsque chaque année, le pèlerinage Summorum Pontificum est reçu en quelque sorte chez lui, dans sa Basilique Vaticane. L’accueil normal de ceux qui sont attachés au ritus antiquior à Rome et dans les paroisses participe ainsi d’une volonté de pacification.
Mais personne ne nie qu’il y ait « une question ecclésiologique sous-jacente à l’application du motu proprio », comme le dit la synthèse de la CEF. Il y avait bien dans la réforme liturgique un désir d’exprimer la novation ecclésiologique qui a été opérée en sortant du modèle traditionnel consacré par le concile de Trente. Les fidèles des paroisses, qui pour la plupart n’ont jamais lu un seul texte de Vatican II, ont clairement compris que des modifications très importantes étaient survenues par le fait que la messe du dimanche n’était plus la même que celle qu’ils avaient connue. Lex orandi, lex credendi, l’une et l’autre messe correspondent respectivement à deux conceptions que l’Eglise a d’elle-même. C’est ainsi.
Ce positionnement côte à côte a été admis de manière réaliste par Summorum Pontificum. Bien sûr, il faut reconnaître que cette coexistence pacifique favorise la diffusion de la forme « riche », de la messe traditionnelle. Summorum Pontificum a fait globalement doubler le nombre de lieux où est célébrée la messe ancienne. C’est un fait : les nombreux sondages de Paix liturgique dans toutes les parties du monde, d’une part, et l’expérience concrète des paroisses, d’autre part, prouvent que, lorsque l’usus antiquior est mis librement à disposition des fidèles pratiquants au sein même de leurs paroisses, le nombre de ceux qui veulent en profiter augmente notablement.
Benoît XVI avait pris des risques calculés. Bien des évêques ne l’ont jamais admis. Mgr Aumonier, par exemple, qui vient de démissionner du siège épiscopal de Versailles, confronté à une forte présence traditionnelle dans son diocèse, a donné l’impression, tout au long de son épiscopat, d’avoir reçu mission, ou de s’être donné mission à lui-même, de mettre constamment des bâtons dans les roues à la messe ancienne. Il avait publié, le 23 octobre 2008, une lettre pastorale, que nous avions analysée dans notre Lettre 154 sous le titre : « Une interprétation fallacieuse du Motu Proprio par Mgr Aumonier » . Alors que Summorum Pontificum affirmait que la célébration de la messe traditionnelle était un droit pour tous les prêtres de rite latin, Eric Aumonier lui faisait dire pratiquement le contraire : « En donnant au curés la faculté de célébrer ou d’autoriser la possibilité de célébrer à certaines conditions, selon la forme extraordinaire, le Pape ne demande pas que les deux formes du rite romain soient employées au choix, comme les deux faces d’une alternative ».
Cela restait une critique enveloppée. Benoît XVI n’étant plus pape, le texte de la CEF peut être beaucoup plus direct : « Le motu proprio a introduit de facto un bi-ritualisme ». Ou encore : il ne faut pas avoir « une compréhension erronée de la place de cette forme qui en viendrait à être considérée comme un rite ». Et puis : « Il ne faudrait pas induire dans l’esprit des séminaristes qu’il existe deux formes au choix dans l’Eglise latine ». Et pour finir, à la dernière ligne de la dernière page : « Le souci de l’unité de l’Eglise n’est pas pleinement honoré par la mise en œuvre du motu proprio. L’application de cette lettre pose ultimement des questions ecclésiologiques plus que liturgiques ».
Les ennemis de la Paix
« Le souci de l’unité de l’Eglise n’est pas pleinement honoré par la mise en œuvre du motu proprio »…. Il est exact que Summorum Pontificum a voulu unir, en quelque sorte, l’eau et le feu. Il était assez bien parvenu à établir un équilibre de paix, par définition fragile. La CEF se place dans la ligne de ceux qui veulent l’annulation ou la réduction maximale de Summorum Pontificum (voir notre Lettre 744 du 4 mai 2020 ).
Elle demande donc concrètement à Rome :
- 1°/ De conserver la liturgie traditionnelle dans un état minoritaire : « être vigilant à ne pas étendre la FERR »
- 2°/ Et de contraindre les prêtres et les fidèles de la FERR au bi-formalisme. « La spécificité et l’exclusivité de la célébration selon la FERR par certaines communautés blessent l’unité du presbyterium », dit le document. « Très massivement, ajoute-t-il, les évêques reviennent sur l’exclusivité de la célébration, l’usage du lectionnaire, d’un même calendrier liturgique (sanctoral) et l’adhésion au magistère actuel ».
Sauf que les évêques de France n’ont guère les moyens d’imposer leur volonté sur ce point. Ils regrettent – nous le regrettons plus vivement encore qu’eux – de ne plus avoir assez de prêtres diocésains pour que certains, plus nombreux qu’aujourd’hui, puissent se consacrer à ce ministère. A vrai dire, la plupart des évêques n’y tiennent pas vraiment, car lorsque des prêtres du diocèse célèbrent la FERR, son intégration au paysage est beaucoup plus facile. Ils préfèrent critiquer la « fermeture » du monde traditionnel (« groupe en milieu fermé », pratiquant le « repli sur soi », l’« entre soi », etc.), que de l’intégrer dans le milieu paroissial.
Très concrètement, la CEF énumère un certain nombre de conseils (en gras) :
- « Partager le même calendrier liturgique (sanctoral) et le même lectionnaire ». Il se trouve que c’est déjà réglé : la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a déjà rempli très habilement ce souhait, sans rien casser du cadre vénérable de la forme extraordinaire. Par le décret Quo magis, du 22 février 2020, elle donne la possibilité d’utiliser sept nouvelles préfaces, et par le décret Cum sanctissima, du même jour, elle ouvre prudemment la possibilité de célébrer la messe et l’office de certains saints canonisés depuis la dernière mise à jour du martyrologe anté-conciliaire (26 juillet 1960). Ce sont d’ailleurs ces décrets-là qui ont enflammé le groupe de pression italien anti Summorum Pontificum : il considérait que c’était une nouvelle consécration officielle de la spécificité de la liturgie ancienne.
- « Revenir sur l’usage exclusif de la forme extraordinaire du rite romain ». Nous l’avons relevé plus haut, la CEF estime que « c’est une cause de scandale » que certains prêtres ne veuillent célébrer qu’en la forme traditionnelle (sans par ailleurs que la CEF trouve à redire au fait que bien des prêtres se refusent à célébrer la messe tridentine) ».
S’il y avait obligation pour les prêtres qui célèbrent l’ancien ordo de dire aussi la messe nouvelle, cependant que les célébrants du nouvel ordo n’auraient pas l’obligation, quant à eux, de célébrer selon l’usus antiquior, le motu proprio serait aboli de manière pratique : de facto cesserait le statut de « droit » que Summorum Pontificum a reconnu à la liturgie traditionnelle. Il en serait de même si des dispositions contraignaient les fidèles traditionnels à assister à la messe nouvelle (par exemple, en décidant que les célébrations anciennes doivent obligatoirement alterner, de dimanche en dimanche, avec des célébrations nouvelles), sans bien entendu que l’obligation réciproque soit faite aux pratiquants de la messe de Paul VI.
Voilà ce que pourrait être la « Révocation » rêvée par les ennemis de la coexistence pacifique. Il est douteux que le pape François suive de tels vœux. En revanche, à terme, pourrait bien intervenir une pression sur les instituts Ecclesia Dei en faveur du bi-formalisme, s’ils étaient mis, comme cela devrait arriver, sous la juridiction de la Congrégation pour les Religieux et non plus sous celle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
Mais pour ce qui est du peuple fidèle, qui bénéficie désormais de très nombreuses célébrations traditionnelles, on ne voit guère que l’on puisse lui enlever ce qu’il a obtenu. L’Église de France sans forces, dont l’hémorragie en fidèles pratiquants, en prêtres, et tout simplement en argent, se continue dramatiquement, n’a plus aujourd’hui la possibilité de reprendre la guerre qu’elle croyait fraîche et joyeuse des années de l’après-Concile.
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Synthèse des résultats de la Consultation sur l'application
du Motu proprio Summorum Pontificum
demandée par la Congrégation pour la doctrine de la foi en avril 2020